Enquête: les besoins spécifiques des femmes qui aiment les femmes

Dernière mise à jour 06/01/14 | Article
Enquête: les besoins spécifiques des femmes qui aiment les femmes
Une étude romande, menée auprès de femmes ayant des rapports homosexuels, révèle leurs besoins particuliers et les lacunes en matière de santé. Des données précieuses pour les responsables des programmes d’information et de prévention, ainsi que pour les médecins, pas toujours informés de ces exigences spécifiques.

Les femmes aimant les femmes auraient-elles d’autres problèmes et besoins en matière de santé et de santé sexuelle que les femmes hétérosexuelles? C’est la question que se sont posées Anne Descuves, cheffe de service de la Consultation de Santé Sexuelle chez Fondation Profa du canton de Vaud, et Sylvie Berrut, coordinatrice de Santé PluriELLE et statisticienne auprès de l’Office fédéral de la statistique. Tout cela en partant du constat que, en Suisse, dans les enquêtes de santé, il est rarement demandé quelle est l’orientation sexuelle des femmes. Faute de données précises sur leurs besoins particuliers, cette tranche de la population est largement oubliée dans les programmes de prévention.

«En Suisse, elles peuvent paraître si réservées que nous pourrions oublier leur existence, discrètes comme femmes et invisibles comme homosexuelles», écrit Anne Descuves dans son travail de mémoire. La spécialiste a en effet réalisé une enquête auprès de 356 femmes sexuellement attirées par les femmes, âgées de 15 à 70 ans. Une enquête menée dans le cadre de son travail de mémoire pour son CAS (Certificate of Advanced Studies) en Santé communautaire, intitulé: «La santé des femmes qui aiment les femmes», dont les résultats ont été publiés cet automne.

Le questionnaire (81 questions) a été élaboré et diffusé en collaboration avec des associations et groupes actifs avec et pour les femmes aimant les femmes en Suisse romande (Lestime, les Klamydia’s, Lilith, Santé PluriELLE et VoGay). Les questions portaient notamment sur leur santé en général, leur santé sexuelle (voir encadré) et mentale, leur consommation de substances (stupéfiants, alcool, tabac), ainsi que sur la prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) et de certains cancers.

S’il est impossible de détailler tous les résultats ici, certains méritent qu’on s’y attarde particulièrement. Cela tant pour les responsables en matière de prévention que pour les médecins et les femmes concernées.

La santé sexuelle, au-delà de tout jugement

Par nature, nous avons toutes et tous le besoin de désirer, de ressentir, d’exprimer et de vivre nos sentiments amoureux et/ou sexuels, de donner et de recevoir du plaisir. Il en va de notre bien-être général, physique et psychologique, comme l’illustre la définition de la santé sexuelle de l’OMS (Organisation mondiale de la santé, ci-dessous).

Définition de la santé sexuelle*

«La santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social associé à la sexualité. Elle ne consiste pas uniquement en l’absence de maladie, de dysfonction ou d’infirmité. La santé sexuelle a besoin d’une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, et de la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui apportent du plaisir en toute sécurité et sans contraintes, discrimination ou violence. Afin d’atteindre et de maintenir la santé sexuelle, les droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés, protégés et assurés.»

*OMS 2003

Au-delà des seuls aspects médicaux, la vision moderne de la santé sexuelle inclut ainsi l’érotisme et le plaisir, le respect mutuel et par conséquent, l’absence de contraintes, de violences et de discriminations. Loin de tout puritanisme, croyances et jugements, les responsables de la santé publique reconnaissent la sexualité comme élément indispensable à l’existence, et que tout un chacun est en droit de vivre librement, à sa manière.

Extrait du livre «J’ai envie de comprendre… Ma sexualité (femme)», Ellen Weigand, avec la collaboration de Francesco Bianchi-Demicheli, Coll. Planète Santé, Ed. Médecine&Hygiène, 2013.

Santé générale globalement bonne

83% des répondantes ont décrit leur état de santé général comme étant bon ou très bon. Un chiffre légèrement inférieur à la moyenne des femmes en Suisse. Par contre, et contrairement à ce qui a été observé dans d’autres pays, les lesbiennes et autres femmes aimant les femmes de Suisse romande ne souffrent apparemment pas plus de surpoids que les femmes hétérosexuelles.

Abus de substances nocives

Plus inquiétant: les femmes ayant répondu à l’enquête sont nombreuses à consommer des substances nocives. Ainsi, 45% d’entre elles fument: 29% tous les jours et 16% occasionnellement. 20% des répondantes sont d’anciennes fumeuses et 34% n’ont jamais touché une cigarette. Ce sont là des chiffres bien supérieurs à ceux enregistrés dans la population féminine générale suisse (22,8% de fumeuses et 57,4% de femmes n’ayant jamais fumé).

La consommation d’alcool au quotidien est deux fois plus fréquente chez les femmes interrogées (12%) que dans la population féminine générale (6%). Et 61% consomment de l’alcool chaque semaine, contre 44% dans la population féminine générale. Par ailleurs, 45% des répondantes sont parfois ivres et/ou sous l’effet d’une drogue au moment des relations sexuelles. Avec, à la clé, d’éventuelles prises de risque (contamination par une infection sexuellement transmissible ou violence).

«Il existe plusieurs hypothèses pour expliquer cette surconsommation, note Sylvie Berrut. Pendant longtemps, les bars et les soirées, où on boit justement de l’alcool, étaient des lieux de rencontre privilégiés pour les gays et lesbiennes. Et l’alcool est un désinhibiteur, notamment lorsqu’on vit sa première expérience homosexuelle. Mais on suppose également qu’un certain stress dû au fait qu’elles font partie d’une minorité encore discriminée peut pousser les femmes lesbiennes à consommer d’avantage d’alcool et de drogues.»

Discriminations et violences

En effet, autre constat préoccupant, l’enquête a révélé que 33% des femmes interrogées ont subi des discriminations –professionnelles, familiales, dans la rue, etc.– à cause de leur orientation sexuelle au cours des douze mois précédant l’enquête. Des discriminations parfois lourdes à supporter, portant atteinte à la qualité de vie et au bien-être. Pour preuve, certaines réponses données à la question Actuellement, de quoi auriez-vous besoin pour votre santé et bien-être en tant que femme aimant les femmes?: «Me libérer de la peur du jugement des autres», «Me sentir accomplie et épanouie dans ma vie de femme», «Meilleure tolérance envers les homos dans la société», «Le droit à l’indifférence».

Par ailleurs, 61% des femmes interrogées ont vécu des violences au cours de leur vie: un quart au sein d’un couple lesbien et 55% en dehors. «Pour 54 victimes, le lien avec leur orientation sexuelle ou leur identité de genre n’est pas à exclure», note Anne Descuves. Qui constate également que la moitié des répondantes ignorait l’existence de la LAVI (loi d’aide aux victimes) et des centres LAVI cantonaux, qui viennent en aide aux victimes de violences.

Tentatives de suicide

Inquiétante également: la proportion de femmes interrogées qui a déclaré avoir fait déjà au moins une tentative de suicide. Le chiffre s’élève à 13%, avec un pic des premières tentatives vers l’âge de 14 à 16 ans. «C’est la même tranche d’âge à laquelle la majorité des répondantes ont ressenti leur attirance pour les femmes pour la première fois», relève Anne Descuves. Les tentatives de suicide sont souvent liées à des discriminations ou violences subies, à des problèmes familiaux et affectifs, à la solitude, au sentiment d’être différente. «Mais il est difficile de savoir si les tentatives de suicide sont liées à la prise de conscience de l’homosexualité ou au coming out, note la spécialiste. Quoi qu’il en soit, ce constat est important pour les professionnels en contact avec les jeunes, qui ont tendance à oublier les femmes quand il s’agit d’orientation sexuelle à l’adolescence.»

Médecins peu sensibilisés

Un certain nombre des répondantes a également déploré le fait que des médecins, et notamment des gynécologues, ont encore l’idée préconçue que chaque femme qu’ils rencontrent est hétérosexuelle et ne posent donc pas la question de l’orientation sexuelle à leurs patientes. «Mon ancien gynécologue, que j’ai vu pourtant 3-4 fois, n’a jamais su que j’étais homo», témoigne l’une d’entre elles. Cela peut retenir un certain nombre de femmes de consulter et d’effectuer des examens de dépistage gynécologique réguliers. D’autres déplorent que les médecins les jugent et aient parfois une attitude négative à cause de leur orientation sexuelle.

D’ailleurs, moins de la moitié des femmes se sont rendues chez le gynécologue durant les 12 derniers mois. Cela alors que la recommandation pour toute femme est une consultation gynécologique annuelle dès le début de la vie sexuelle active.

«La manière d’aborder l’orientation sexuelle dans la consultation de santé sexuelle est en effet primordiale», souligne Anne Descuves, qui élabore actuellement un guide de bonne pratique pour l’accueil des femmes homosexuelles avec les conseillers/ères en santé sexuelle de Profa. Il y est notamment stipulé que la question de l’orientation sexuelle devrait être abordée par les professionnels dans chaque entretien.

Prévention des infections sexuellement transmissibles

Au-delà de tout jugement, les professionnels pourraient mieux informer les femmes ayant des relations homosexuelles sur les modes de transmission des infections sexuellement transmissibles (IST) et leur prévention. Cela d’autant plus qu’elles ont souvent des comportements sexuels à risque, par ignorance de ces risques, parce qu’elles sont un certain nombre à avoir également des partenaires masculins et aussi parce qu’elles effectuent rarement des dépistages des IST.

Ainsi, l’enquête montre que, dans 71% des cas, aucune stratégie de protection n’est utilisée lors de relations sexuelles entre femmes, et 13% seulement disent se protéger souvent ou toujours.

Parmi les répondantes ayant aussi des rapports sexuels avec des hommes, un tiers utilise toujours le préservatif, un tiers souvent et un tiers rarement ou jamais. Des prises de risques existent donc dans deux tiers des relations sexuelles avec les hommes! Enfin, 63% des femmes interrogées ont effectué un test de dépistage VIH. Un nombre insuffisant aux vues des risques pris.

Sexuellement satisfaites

L’enquête a également porté sur les pratiques sexuelles des répondantes et sur leur satisfaction dans leur vie intime. 67% d’entre elles sont satisfaites ou très satisfaites de leur vie sexuelle et 59% sont satisfaites à la fois de leur vie sexuelle et de leur vie affective.

Vous l’aurez compris, les questions de santé des femmes aimant les femmes sont en effet différentes et à aborder de manière spécifique, tant par les médecins que par les spécialistes en matière de prévention. Cette étude ne constitue qu’un premier pas, mais un pas important.

Pour en savoir plus

Etude détaillée: http://www.profa.ch/multimedia/docs/2013/12/santedesfemmes-dec2013.pdf

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