Il est trop tôt pour juger de l’innocuité de l’e-cigarette

Dernière mise à jour 18/09/13 | Article
Il est trop tôt pour juger de l’innocuité de l’e-cigarette
Fumer des cigarettes normales est, on le sait bien, dangereux pour la santé. Mais qu'en est-il des e-cigarettes ou cigarettes électroniques?

De quoi on parle?

Les faits

Des tests menés sur une dizaine de cigarettes électroniques par la revue française 60 Millions de consommateurs révèlent la présence de substances «peu recommandables» dans les vapeurs émises par certains modèles.

Le bilan

Ces résultats contredisent l’argument des partisans de l’e-cigarette, selon lequel elle ne contiendrait aucune des 4000 substances toxiques libérées par la cigarette conventionnelle. De quoi relancer toute la controverse sur l’innocuité du produit.

C’est une banalité toujours bonne à rappeler: si vous fumez des cigarettes conventionnelles, vous avez deux fois plus de chances de mourir que si vous ne fumez pas, et cela à n’importe quel âge. «Le problème, explique le Pr Jacques Cornuz, directeur de la Policlinique médicale universitaire de Lausanne, c’est que les 9000 décès annuels dus au tabac en Suisse se répartissent dans le temps. Dès lors, ça n’a pas le même impact émotionnel qu’un accident de voiture.» Beaucoup de fumeurs cherchent malgré tout à arrêter. Et pour y arriver, chacun est à la recherche de la solution miracle qui ne demande aucun effort. C’est bien là tout l’attrait de la cigarette électronique: en permettant de simuler l’acte de fumer, le produit pourrait être la «solution» idéale pour continuer à consommer sans danger.

Cette e-cigarette n’a en réalité rien de véritablement électronique: elle marche à l’électricité et sans combustion. Une fois en action, elle produit un brouillard de fines particules (la «vapeur») qui ressemble à de la fumée dégagée par la combustion du tabac (voir infographie). «Mais surtout, l’e-cigarette reproduit le «hit», c’est-à-dire l’impact presque pavlovien que ressent le fumeur dans la gorge lorsqu’il inhale de la fumée», détaille Jean-François Etter, responsable de stop-tabac.ch et chercheur à l’Institut de médecine sociale et préventive de Genève.

Exempte de nicotine

Contrairement à d’autres pays européens, dont la France, les e-cigarettes commercialisées en Suisse ne contiennent pas de nicotine. Le droit fédéral l’interdit. Or si cette substance est à la source de l’addiction au produit, c’est aussi elle qui produit la sensation de plaisir liée à l’acte de fumer. En moins de dix secondes, elle atteint des zones du cerveau qui stimulent le système de récompense. Pour Jean-François Etter, l’absence de nicotine des cigarettes électroniques vendues en Suisse est aberrante. «Les cigarettes sans nicotine n’ont aucun attrait pour le fumeur. Contrairement à ce que l’on croit souvent, l’importance du geste n’est pas au cœur du processus. Ce qui compte pour les fumeurs, c’est de remplacer l’effet produit par la nicotine.» Et justement, par rapport aux autres substituts nicotiniques comme les patchs ou les chewing-gums, l’e-cigarette rend possible une absorption de la molécule de nicotine presque aussi rapide que la cigarette classique, ce qui permet de reproduire une sensation de plaisir significative, mais semble moins addictive que la cigarette conventionnelle.

Pourquoi, dès lors, ne pas généraliser le recours thérapeutique à l’e-cigarette? D’abord parce qu’en simulant l’acte de fumer, un fumeur motivé pourrait renoncer à son envie d’arrêter, se disant qu’il peut migrer vers une consommation sans risque. Les «vapoteurs» donneraient ensuite «le mauvais exemple» en inhalant publiquement de la fumée. Autre argument, «vapoter» n’irait pas sans fumer de vraies cigarettes. «La situation est particulièrement problématique chez les jeunes, reconnaît Jacques Cornuz. Même si l’e-cigarette était sans danger sur le long terme, ce qui reste à prouver, est-ce qu’un tube avec une batterie est aussi attrayant pour un jeune consommateur que la cigarette conventionnelle? Autrement dit, un type de consommation va-t-il sans l’autre? Je n’en suis pas sûr, tant l’accès au produit conventionnel est aujourd’hui aisé et attrayant.»

Une étude controversée

Les conclusions provocatrices du magazine 60 Millions de consommateurs attaquent toutefois l’e-cigarette sur un autre front. «L’absence de tabac ne signifie pas que ces produits ne présentent pas, de manière intrinsèque, des risques pour la santé, y est-il écrit. Nos analyses démontrent pour la première fois que les vapeurs de certaines marques contiennent des substances très préoccupantes, parfois même en quantité plus importante que dans certaines cigarettes conventionnelles!» Selon la revue française, lorsqu’un utilisateur fume une e-cigarette, il inhale une vapeur (aérosol) dont une partie descend dans les voies respiratoires. C’est cette vapeur qui contiendrait des «impuretés» potentiellement toxiques, voire cancérigènes.

«Les e-cigarettes ne contiennent pas les très nombreuses substances les plus dangereuses pour la santé qui sont toujours présentes dans la fumée du tabac: aucune particule solide, aucun goudron et pas de monoxyde de carbone (CO). Par contre, le formaldéhyde, l’acétaldéhyde et l’acroléine, nommés dans l’étude du journal, sont effectivement des substances génotoxiques, c’est-à-dire qu’elles peuvent nuire à l’intégrité physique d’une personne, notamment en provoquant des irritations des voies respiratoires et en déclenchant des allergies», explique Rex Fitzgerald, du Centre suisse de toxicologie humaine (SCAHT) de l’Université de Bâle.

Faut-il pour autant paniquer et s’en retourner à la bonne vieille sèche? Très clairement non. «En fait, les résultats de l’étude ne nous apprennent rien de vraiment nouveau, explique Jean-François Etter. Ce que l’on ne sait pas, et que nous ne saurons probablement pas avant plusieurs années, ce sont les effets à long terme de l’usage de la cigarette électronique. Même si on peut difficilement imaginer comment elle pourrait être plus nocive que la cigarette conventionnelle, son innocuité définitive reste encore à prouver. Et pour la déterminer, il faut mener une étude scientifique indépendante et de longue haleine. C’est un enjeu crucial de santé publique qui doit être financé par l’Etat.» En attendant, conclut le Professeur Cornuz, «pour arrêter de fumer de cette manière, il est urgent d’attendre. L’e-cigarette ne devrait être qu’une option individuelle temporaire. Aussi attrayante soit-elle, il faut admettre qu’il est encore trop tôt pour en généraliser l'usage.»

Cigarette électronique

Le saviez-vous?

La première cigarette électronique a été mise au point par Hon Lik, un pharmacien chinois.

Les cigarettes électroniques sont aujourd’hui fabriquées pour la plupart en Chine, dans diverses usines des villes de Shenzhen et d’Hong-kong. Il y aurait entre cinq et dix millions d’utilisateurs aux Etats-Unis, et les ventes triplent chaque année depuis 2007. En France, où des points de distribution ont été autorisés, les «vapoteurs», comme on nomme les utilisateurs de cigarettes électroniques, seraient au nombre de 500 000.

La cigarette électronique nuit-elle à l'entourage?

Impact

Inodore, la vapeur de l’e-cigarette est-elle sans danger pour l’entourage? Comme pour le produit lui-même, démontrer l’innocuité de la vapeur dans l’air prendra du temps. «Il a fallu plusieurs années pour prouver les ravages du tabagisme passif, explique Jacques Cornuz, directeur de la Policlinique médicale universitaire de Lausanne. Comprenez-moi bien: cela ne veut pas dire que la vapeur est toxique. Mais qu’en attendant de vraiment le savoir, ne faisons pas comme avec la cigarette conventionnelle: prenons le temps de faire les études qui s’imposent, et, en patientant, appliquons le principe de précaution.»

En collaboration avec

Le Matin Dimanche

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