L’Europe face aux nouvelles drogues

Dernière mise à jour 16/06/14 | Article
L’Europe face aux nouvelles drogues
Le panorama européen des drogues évolue et révèle une situation complexe avec l’arrivée sur le marché de nouvelles substances psychoactives.

«La guerre contre la drogue ne peut pas être gagnée, car c’est une guerre contre la nature humaine». Ces propos attribués à Sir Keith Morris, ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Colombie, poussent à la réflexion lorsqu’on aborde la problématique des drogues. Ainsi, le rapport de l’observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), publié mardi 27 mai, pointe une situation complexe. Ce document annuel de 80 pages, qui décrit la situation européenne en matière de drogues, a beau constater «quelques signes positifs concernant les drogues les plus implantées», il révèle aussi et surtout une situation plus complexe, notamment avec l’apparition de «nouvelles (…) drogues de synthèse (…) sur un marché européen en constante évolution». Les drogues se suivent et ne se ressemblent pas. La lutte contre ces substances prend parfois des airs de mythe de Sisyphe, mortel condamné à pousser un rocher au sommet d’une colline, sans jamais pouvoir achever sa tâche: le rocher roulait jusqu’en bas à chaque fois qu’il approchait du sommet…

Frank Zobel confirme ces conclusions. En résumé, pour cet ancien collaborateur auprès de l’OEDT, qui travaille désormais pour la fondation Addiction Suisse: «Les problèmes de ces 30 dernières années, principalement héroïne, cocaïne et cannabis, se stabilisent, mais d’autres prennent leur place». Les cartes sont-elles donc rebattues? A priori non. «L’essentiel des problèmes demeure lié aux drogues classiques, rappelle l’expert. Mais même si la prévalence des nouvelles substances est encore sans doute très faible, on ne peut pas ignorer leur arrivée».D’autant que le problème ne connaît pas de frontières, et la Suisse est évidemment concernée.«Les douanes, lestreetworkde Zürich et la médecine légale ont, par exemple, récemment identifié des substances de la famille des NBOMe, puissants hallucinogènes qui ont déjà été associés à des cas de décès», indique le chercheur.

Méphédrone, MDPV, NBOMe, Spice…

Vous ne connaissez sans doute pas ces produits, et pour cause: certains sont très récents. Ces nouvelles substances psychoactives (NSP) ont des origines, des compositions, et des effets très divers. La plupart du temps, elles n’ont rien d’original et se contentent de mimer les effets des drogues classiques. La méphédrone est un stimulant qui remplace la cocaïne. Le Spice contient des cannabinoïdes de synthèse qui agissent comme le THC du cannabis. Quant aux NBOMes, ils sont censés imiter le LSD.

Lorsque ces molécules apparaissent pour la première fois, elles prennent souvent les autorités au dépourvu, puisque la législation ne peut pas les contrôler à l’avance. Rien que pour 2013, le système d’alerte précoce européen a enregistré 81 nouvelles substances psychoactives, parmi lesquelles 29 cannabinoïdes de synthèse et une trentaine de composés inclassables dans les familles de produits déjà connues. Faut-il pour autant s’en inquiéter? Frank Zobel rappelle qu’«on analyse beaucoup plus de molécules qu’auparavant, ce qui explique naturellement une hausse du nombre de composés détectés».

Mais les risques sont bien réels. Ces substances sont ainsi de plus en plus efficaces, comme le souligne le rapport. Elles sont donc bien plus faciles à transporter. Et plus lucratives. Alors que 200 grammes de cocaïne pure sont nécessaires à la fabrication de 10 000 doses individuelles, une quantité 2000 fois moindre de carfentanyl (un puissant analogue de l’héroïne) suffit pour en fabriquer autant.

Du côté des consommateurs, en revanche, le bénéfice est moins évident. Certes, ils peuvent se procurer ces nouvelles drogues avec une facilité déconcertante: en quelques clics on peut acheter ces produits sur internet et les recevoir par la poste, pour peu que le colis échappe aux douanes. Mais à l’heure actuelle, les scientifiques ignorent tout ou presque de leurs effets à long terme, une étude rendue encore plus compliquée par le fait que certaines molécules ont des effets importants à partir de doses infimes.

Analyser les effets toxicologiques d’une unique molécule prend du temps. «Entre la saisie d’une nouvelle substance, l’évaluation des risques associés, et l’application d’une loi, il s’écoulait jusqu’ici environ deux ans», estime Frank Zobel. Une situation mal adaptée pour réagir rapidement, d’autant qu’en Europe, chaque pays applique sa propre méthode. Ainsi, en Suisse, si l’analyse d’une substance saisie par les douanes indique des effets psychoactifs, elle est généralement interdite de facto. D’autres pays appliquent des interdictions temporaires, d’autres encore étendent l’interdiction à toute une famille de molécules…

Ne faudrait-il pas alors penser à harmoniser et moderniser ces procédures? «Les choses évoluent déjà, précise Etienne Maffli, du secteur recherche d’Addiction Suisse. Plusieurs villes, en Suisse et ailleurs en Europe, analysent désormais les eaux usées. Les données récoltées permettent d’avoir des mesures objectives de la consommation de drogues en un lieu précis. C’est un domaine dans lequel les technologies ont pris une avance considérable», ajoute le chercheur. Recoupées avec les résultats issus des saisies, des questionnaires, et des analyses médico-légales, ces mesures vont pouvoir apporter un éclairage nouveau sur la consommation de produits psychoactifs, y compris pour les NSP. Pour l’instant, cela en demeure au stade embryonnaire, mais les premiers résultats sont encourageants. Une évolution bienvenue, si on ne veut pas que le rocher roule en bas de la colline.

Le cannabis, substance la plus consommée

Top 3 des drogues les plus consommées au cours de l’année écoulée:

  • Cannabis (18,1 millions des 15-64 ans européens, soit 5,3%)
  • Cocaïne (3,1 millions, 0,9%)
  • Amphétamines (1,5 million, 0,4%).

Le cannabis demeure la drogue la plus fréquemment consommée en Europe, loin devant la cocaïne et les amphétamines. On estime que 2000 tonnes y sont consommées chaque année, un chiffre qui semble stable depuis 2011. Au cours des dix dernières années, l’herbe a supplanté la résine en termes du nombre de saisies faites par les autorités. La France, l’Espagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la République Tchèque figurent parmi les plus gros consommateurs, et une forte augmentation a été observée au Danemark depuis 2010. La Suisse figure aussi dans le peloton de tête des pays européens où la consommation de cannabis est la plus élevée. La législation évoluera-t-elle vers en encadrement de cette substance? Les récents cas de légalisation en Uruguay, dans le Colorado et dans l’état de Washington peuvent le suggérer. Nul doute que ces expériences seront suivies de près.

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