Solutions contre la stigmatisation des sourds en psychiatrie

Dernière mise à jour 30/09/15 | Article
Solutions contre la stigmatisation des sourds en psychiatrie
Les personnes sourdes sont très largement stigmatisées dans notre société. Doublement fragilisés, les patients sourds ayant des troubles mentaux souffrent d’erreurs médicales ou perdent leur autonomie lors des soins psychiatriques à cause de préjugés. Une meilleure connaissance de leurs aptitudes de communication et l’intervention d’un interprète en langue des signes garantissent une amélioration de la prise en charge clinique de ces patients.

La surdité n’affecte pas tout le monde de la même manière en raison de multiples facteurs: origine de la perte de l’ouïe, accès aux soins et à une éducation spécialisés, développement cognitif, ou encore environnement social et affectif. La méconnaissance de cette condition aboutit à des préjugés non seulement dans la population générale mais aussi chez les soignants.

Handicap vs appartenance socio-culturelle

On peut distinguer deux conceptions de la surdité. Dans un premier modèle dit d’invalidité, les personnes sourdes sont considérées comme des handicapés car leur état est jugé pathologique. Ce modèle concerne la majorité des personnes dont la surdité est postlinguale, c’est-à-dire survenue après l’âge de parler (après deux ans) suite à un accident ou une maladie par exemple. Selon ce concept, l’invalidité nécessite une intervention médicale visant à corriger ou compenser la perte d’audition.

D’un autre côté, les sourds prélinguaux – dont la surdité est conjointe à la naissance ou au développement de l’enfant avant sa deuxième année – se considèrent le plus souvent comme appartenant à un groupe socio-culturel distinct et non comme des invalides. Ce groupe a sa propre histoire et sa propre langue: la langue des signes.

Ces deux conceptions de la surdité qui s’opposent mais cohabitent sont à l’origine de problèmes de communication avec les entendants et ont des implications importantes sur la prise en charge des patients sourds. Par exemple, le refus de se faire poser un implant cochléaire est souvent mal compris par le soignant alors qu’il est cohérent avec une construction socio-culturelle de la surdité.

Des conséquences médicales

En 2004, une étude a montré que les patients sourds étaient fréquemment l’objet de malentendus, d’erreurs médicales ou de diagnostic, perdaient leur autonomie ou tout simplement avaient peur lorsqu’ils consultaient un médecin. Ce décalage qui s’insinue entre le médecin et son patient sourd est dû le plus souvent à un problème de communication reposant sur des préjugés.

Plusieurs fausses croyances répandues chez les entendants expliquent ce décalage. Comme le fait que la personne sourde maîtrise suffisamment l’écrit pour palier à la communication orale. Or il a été montré que beaucoup de personnes sourdes comprennent très mal le langage écrit. De même, le soignant surestime fréquemment les capacités à lire sur les lèvres de son patient sourd, qui ne saisit par ce biais que la moitié du message.

D’autre part, lorsque la personne sourde se rend chez le médecin avec un membre de sa famille, il arrive que le dialogue ne s’effectue qu’entre le médecin et l’accompagnant, niant tout droit au patient de s’exprimer et de comprendre l’information médicale, ce qui pose un problème éthique évident.

La relation patient-médecin est aussi entravée par la terminologie médicale complexe, difficile à comprendre par une personne sourde dont la communication est basée sur une reconnaissance visuelle des mots et des signes correspondants.

Tous ces éléments aggravent la situation de base du patient sourd et aboutissent à des prises de décision non éclairées, voire à une perte d’autonomie, à des changements fréquents de médecin traitant ou encore à un mauvais suivi du traitement.

Le cas de la maladie mentale

La surdité n’est pas associée nécessairement à un trouble psychique, même si très souvent une personne sourde peut entrer dans le système de santé mentale en l’absence de maladie mentale grave, à cause du fonctionnement du réseau traditionnel de soins des patients sourds.

Comme les autres soignants, les professionnels de santé mentale ont souvent une connaissance limitée de la surdité et de sa culture. Ce qui aboutit depuis longtemps à une «observation muette» des pathologies, c’est-à-dire à un diagnostic sans échange dans la langue du patient, la langue des signes. Ceci a un impact très important sur la capacité du soignant à évaluer la maladie et à intervenir de manière précise.

L’interprète au cœur des priorités

Une des principales causes de marginalisation du patient sourd est la négation de son mode de communication, qui passe par la reconnaissance visuelle et la langue des signes. C’est pourquoi la sensibilisation des soignants à la condition de surdité, l’introduction d’un matériel iconographique à la place de l’écrit, la présence d’un interprète de langue des signes et enfin l’obligation de s’assurer de la compréhension de l’information par le patient sont des éléments clés à apporter à la pratique clinique.

Plusieurs initiatives allant dans ce sens ont récemment vu le jour, à l’instar du projet lausannois «Breaking the Silence», avec deux objectifs principaux: la sensibilisation des étudiants en médecine à la condition de surdité et l’apprentissage de la langue des signes par le personnel hospitalier. A ce jour, aucune formation dédiée à la santé mentale pour les personnes sourdes n’existe en Suisse. En Europe, des structures de soins en santé mentale, spécialement adaptées aux personnes sourdes, ont été mises en place afin d’éviter les malentendus et améliorer leur prise en charge.

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Référence

Adapté de «Stigmatisation des Sourds dans les soins de santé, l’exemple de la santé mentale», Dr Pierre Cole, Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise, Hôpitaux universitaires de Genève, et Odile Cantero, Centre de recherche en psychologie de la santé, Université de Lausanne. In Revue Médicale Suisse 2015;11:398-400. En collaboration avec les auteurs.

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