Polluants et grossesse: faut-il se protéger à tout prix?

Dernière mise à jour 22/06/15 | Article
Polluants et grossesse: faut-il se protéger à tout prix?
Il est fréquent que les femmes enceintes s’inquiètent de ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas faire, des produits qu’elles peuvent ou pas consommer ou utiliser... et, lorsqu’on aborde le sujet délicat des polluants*, c’est souvent la panique générale. Afin d’y voir plus clair, nous avons interrogé Nathalie Chèvre, écotoxicologue et chercheuse à l’Université de Lausanne, ainsi que le Dr Nicole Fournet Irion, gynécologue-obstétricienne, spécialiste en médecine de la reproduction et en endocrinologie gynécologique.

De quoi on parle?

Les polluants désignent toute une série de composants chimiques considérés comme potentiellement toxiques pour notre santé et notre environnement. Les grands groupes de polluants sont les allergènes, les cancérigènes, les neurotoxiques et les perturbateurs endocriniens. Ces derniers peuvent se trouver dans certains de nos aliments traités, emballés ou même biologiques, nos crèmes et cosmétiques, l’eau, et divers contenants et objets du quotidien.

Le point de vue de Nathalie Chèvre

Parmi les polluants de notre environnement, il est souvent question des perturbateurs endocriniens. Quels sont leurs effets sur la santé?

Les effets précis, nous ne les connaissons pas encore. Nous commençons seulement à les observer et nous nous apercevons, par exemple, que la baisse de la fertilité chez l’homme et l’explosion de l’endométriose chez la femme pourraient en partie être dus à la présence de certains ou de plusieurs polluants qui interfèrent avec nos hormones sexuelles. Actuellement, les études se penchent surtout sur les perturbateurs endocriniens qui agissent comme des hormones sexuelles féminines. Mais il y en a d’autres. Leurs effets sont simplement, pour le moment, moins étudiés.

Y a-t-il des périodes de la vie où nous sommes plus vulnérables face aux perturbateurs endocriniens?

Oui. Il existe une plus grande vulnérabilité durant la grossesse, à l’état embryonnaire et fœtal, puis durant la petite enfance où le développement des organes sexuels s’accomplit. Il est vraisemblable que cette vulnérabilité soit également présente au stade de la conception. Je pense que s’il faut se montrer vigilant, c’est lors de ces étapes clés de la vie. Les adultes peuvent se défendre contre certains polluants, comme le bisphénol A pour prendre un exemple connu, mais ce n’est absolument pas le cas des enfants.

En 2012, le bisphénol A a été interdit dans les biberons en Europe. Où trouvons-nous encore cette substance?

Nous en trouvons dans de nombreux contenants en plastique, sur les tickets de caisse, sur les plastiques qui recouvrent l’intérieur des bouilloires, sur les CD, les stylos, les lunettes et divers autres objets du quotidien. Il est par conséquent préférable d’éviter le bisphénol A, surtout pendant la petite enfance et la grossesse, où il pourrait interférer avec le développement sexuel.

Faut-il se méfier des cosmétiques pendant la grossesse?

Davantage pendant la grossesse et la petite enfance, bien sûr, mais pas seulement. Le problème des cosmétiques c’est que pour la plupart de leurs composants, il n’existe aucune donnée toxicologique. Comme ils ne sont pas testés, nous ne connaissons pas les effets que certains de leurs composants pourraient avoir sur la santé et sur l’environnement.

Certains composants, comme les parabènes ou les phtalates, ont été testés et sont désormais reconnus comme des perturbateurs endocriniens. Existe-t-il des listes de substances à éviter dans les cosmétiques?

Le problème de ces listes réside dans le fait que ce qui est supprimé est généralement remplacé. Un conservateur reconnu comme perturbateur endocrinien sera éventuellement ôté, mais sera remplacé par un autre conservateur dont nous ignorons encore les effets. A mon avis, la substitution n’est absolument pas une solution.

Quelle est donc la solution?

De mettre sur sa peau ce que l’on peut manger, donc principalement des huiles. Dans les cas contraires, mieux vaut privilégier les produits dont la composition est la plus simple et éviter les produits aux longues listes de composants.

Y a-t-il des zones du corps qui absorbent plus facilement les toxiques que d’autres?

Non, la perméabilité, hormis sur le bout des cheveux, est la même partout. L’industrie prétend que les crèmes restent sur la peau et qu’elles ne pénètrent pas à l’intérieur de l’organisme mais ce n’est pas vrai. Bien sûr, certaines substances traversent plus difficilement l’épiderme que d’autres, mais nous savons que la peau n’est pas une barrière hermétique et que des passages se créent automatiquement.

Selon vous, qu’y a-t-il de pire dans les cosmétiques?

Les vernis à ongles et les crèmes solaires sont souvent truffés de perturbateurs endocriniens.

Est-il préférable de boire de l’eau du robinet ou de l’eau de source contenue dans une bouteille en plastique?

Toujours privilégier l’eau du robinet, surtout en Suisse, et limiter un maximum les bouteilles en plastique et le plastique en général. De plus, il n’est pas certain que l’eau de source, quand bien même contenue dans une bouteille en verre, soit de meilleure qualité que notre eau du robinet.

Les pesticides sont également truffés de polluants...

Les pesticides sont des polluants qui peuvent agir comme des perturbateurs endocriniens ou comme des neurotoxiques. La France a récemment reconnu que le développement de la maladie de Parkinson chez certains agriculteurs était lié à l’utilisation d’une catégorie de pesticides. C’est un exemple parmi d’autres.

Comment limiter notre exposition aux polluants qui envahissent notre quotidien?

Acheter bio ou local, éviter les aliments traités ou trop complexes. Nous savons par exemple que l’aspartame est possiblement lié au développement de tumeurs cérébrales. Eviter de façon générale le plastique et les produits synthétiques, laver ses habits avant de les porter (bien que cela ne soit pas très écologique), aérer son appartement ou son bureau quotidiennement, parfumer ses habits plutôt que sa peau et surtout, privilégier un maximum la simplicité et le bon sens!

Le point de vue du Dr Nicole Fournet Irion

Pourquoi les gynécologues n’abordent-ils que rarement le sujet des polluants avec leurs patientes enceintes?

Les femmes enceintes sont déjà terriblement angoissées à l’idée d’attraper des maladies pouvant provoquer des anomalies congénitales comme la toxoplasmose ou le cytomégalovirus, pour prendre des exemples connus. Elles sont donc déjà très sensibles à leur environnement et à leur alimentation. De plus, les effets des polluants sont à l’heure actuelle encore extrêmement mal connus, complexes et surtout non validés. Nous préférons par conséquent ne pas inquiéter inutilement nos patientes avec des problèmes dont l’origine demeure douteuse et les effets discutables.

Il y a pourtant des substances, comme le bisphénol A (désormais interdit dans les biberons mais présent dans la plupart des contenants en plastique), qui sont reconnues comme nocives pendant la petite enfance. Il est donc fort probable qu’elles le soient aussi pendant la grossesse...

Oui, mais ces éventuels effets nocifs sont encore mal connus et n’ont pas été validés chez le fœtus.

Il est tout de même curieux qu’en Suisse, contrairement à la Scandinavie ou d’autres pays du nord de l’Europe, il soit quasiment impossible de trouver des bouteilles d’eau en verre...

Il est vrai que les pays scandinaves, en partie en raison du fonctionnement de leur système de santé, ont d’excellentes données épidémiologiques. Ils ont été les premiers à tirer la sonnette d’alarme face à l’augmentation du taux de cancer des testicules chez les jeunes hommes. Et il semblerait en effet que l’exposition aux polluants comme le bisphénol et les phtalates pendant la grossesse de la mère, soit responsable de répercussions chez l’enfant de sexe masculin, avec notamment une baisse de la quantité de production de spermatozoïdes. Le bisphénol A est déjà interdit dans les biberons, c’est un premier pas, d’autres suivront. Ces dispositions prennent toujours un certain temps. En attendant, il est préférable, si possible, d’opter pour l’eau du robinet qui est, de plus, de très bonne qualité en Suisse. Reste que si vous commencez à regarder tous les polluants qui vous entourent et leurs potentiels effets délétères, vous ne vivez plus.

Donc mieux vaut vivre une grossesse harmonieuse en contact avec panoplie de polluants qu’une grossesse angoissée à l’abri de certains polluants?

Nous sommes entourés de toutes sortes de choses qui pourraient aller à l’encontre de notre santé et que nous ne pouvons éviter. Je crois qu’il faut savoir raison garder et tenter d’intervenir sur celles qui sont tangibles, qui sont certaines et pour lesquelles nous pouvons réellement faire quelque chose. Je pense que si nous commençons à nous attarder, à l’heure actuelle, en 2015, sur des craintes aussi abstraites que les effets possibles de toute une série de polluants, d’ondes téléphoniques et autres, nous allons vivre une angoisse permanente qui sera éventuellement, pour les femmes enceintes, plus mauvaise pour leur fœtus que l’effet éventuel de ces polluants. N’oublions pas que l’homme n’a jamais vécu aussi longtemps qu’aujourd’hui, en particulier en Suisse.

Pouvons-nous supposer que s’il n’y a pas encore de données claires sur les effets possibles de ces polluants sur la santé, c’est qu’ils ne sont pas si flagrants et nocifs que l’on pourrait l’imaginer?

Absolument. Raison pour laquelle il est préférable de vivre normalement avec un certain bon sens, et cela s’applique à tous les stades la vie. La vie parfaite n’existe pas. Mais vous pouvez, en connaissance de cause, limiter les toxines connues, comme le tabac et l’alcool, et adopter une bonne hygiène de vie, notamment en mangeant sainement. Pour vivre sereinement en 2015, il faut savoir être pragmatique. Pour les femmes enceintes par exemple, manger trois branches de persil non lavées comporte moins de risque que d’être enceinte à 43 ans.

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