La première cartographie corporelle de nos émotions

Dernière mise à jour 22/01/14 | Article
Une équipe finlandaise vient de dresser la carte biologique de nos sensations les plus fortes. Elle nous offre ainsi un «tableau émotionnel» inédit. Le voici.

Nos émotions les plus fortes ont une traduction biologique et corporelle. Et on peut donner à cette traduction la forme d’une carte. C’est ce que démontrent quatre chercheurs universitaires finlandais1. Ils viennent de publier leurs résultats dans les Actes de l’Académie des Sciences américaine. La cartographie des émotions est disponible ici2. Cette recherche a pu être effectuée auprès de 701 participants volontaires de Finlande, Suède et Taiwan.

Combinaisons de sensations

Les participants devaient indiquer, via un ordinateur, les régions corporelles dont l'activité augmentait ou diminuait en fonction de chaque émotion induite et ressentie. En pratique ils devaient représenter sur une silhouette humaine les parties de leur corps qui se trouvaient suractivées, ou, au contraire, dont l'activité diminuait. «Nous avons été surpris de constater qu'à chaque émotion correspondait une combinaison précise de sensations, et que celle-ci était reproduite spontanément par la majorité des participants, qu'ils viennent de Finlande, de Suède ou de Taïwan», a commenté le Pr Nummenmaa au lendemain de cette publication.

Les chercheurs observent donc que les émotions les plus courantes provoquent des sensations corporelles d’une assez grande intensité et que chacune renvoie à une cartographie physique à la fois spécifique et physiologiquement cohérente. Chacune a une base biologique. Les professionnels de santé pourront voir dans cette approche un outil de compréhension des différents troubles émotionnels.

Rouge aux joues

Ce travail est aussi une forme de confirmation de la véracité biologique de nombreuses expressions: le cœur se fend, le rouge monte aux joues et la moutarde au nez, les chevilles gonflent, la colère monte à la tête, le bonheur irradie (on «rayonne»). La dépression vous rend moins sensible au monde extérieur. La peur va se nicher dans le ventre et la tristesse serre le cœur.

Les résultats des chercheurs finlandais permettent aussi de démontrer que le ressenti des émotions est équivalent chez les Occidentaux et les Asiatiques. Les impressions et sensations corporelles liées à telle ou telle émotion sont à l’évidence beaucoup plus liées à notre biologie qu'à notre culture.

Psychosomatique

Sous différentes latitudes la colère, la peur ou la surprise sont associées à une augmentation de l'activité sensorielle qui correspond à une accélération des rythmes respiratoires ou cardiaques. À l'inverse, les sensations de tristesse sont associées à une réduction de l'activité sensitive des membres supérieurs. Les sensations gastro-intestinales et de la gorge sont propres à la sensation nauséeuse de dégoût. Pour le Pr Jean-Louis Millot, spécialiste en neurosciences (Université de Franche-Comté) cette topographie inédite pourrait faire avancer la recherche dans la compréhension de mécanismes émotionnels encore mal connus. La méthode pourrait par exemple être selon lui appliquée à des personnes anorexiques, dont on sait qu'elles souffrent d'une perception perturbée d'elles-mêmes.

Cartographies individuelles

Ce travail confirme aussi que les émotions sont de véritables interfaces entre corps et cerveau. Elles induisent tout un éventail de réactions: musculaires, hormonales, neurologiques et immunitaires. De ce point de vue elles sont le terrain d’élection de la médecine psychosomatique. Des émotions réitérées peuvent ainsi avoir, selon les personnes, des impacts positifs (guérison plus rapide de certaines affections) ou négatifs (plus grandes vulnérabilités cardio-vasculaires ou immunitaires).

Peut-être reste-t-il désormais à affiner le travail finlandais: définir la cartographie émotionnelle de chacun pour identifier et corriger certains dysfonctionnements jusqu’ici invisibles.

1. Ce travail a été mené par Lauri Nummenmaa, Enrico Glereana et Riitta Hari (Université d’Aalto) associés à Jari K. Hietanend (Université de Tampere).

2. Le texte (en anglais) de cette publication ainsi que les illustrations sont disponibles ici. On peut ainsi y voir les zones associées à la colère (anger), la peur (fear), le dégoût (disgust), le bonheur (happiness), la tristesse (sadness), l'anxiété (anxiety), l'amour (love), la satisfaction (contempt), la fierté (pride), la honte (shame) ou encore sa voisine: la jalousie (envy).

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