Découverte des prions: récit d’une aventure scientifique semée d’embûches

Dernière mise à jour 29/10/15 | Article
Découverte des prions: récit d’une aventure scientifique semée d’embûches
Les prions sont responsables de la maladie de la vache folle et, chez les humains, de celle de Creutzfeldt-Jakob. Le neurobiologiste américain Stanley B. Prusiner retrace dans un livre le long parcours qui l’a conduit à la mise en évidence de ces agents pathogènes très spéciaux.

Elles ont fait la Une de l’actualité. La maladie de la vache folle, qui a provoqué une crise sanitaire sans précédents entre 1986 et 1996, de même que la tremblante du mouton ou encore, chez l’être humain, la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ). Ces pathologies neurodégénératives ont un même responsable: le prion. La découverte au début des années 80 par Stanley B. Prusiner de cet agent pathogène radicalement nouveau représente une aventure scientifique peu commune. Le neurobiologiste américain de l’Université de Californie a dû s’armer de patience, mais aussi affronter une forte résistance de la communauté scientifique «qui a perduré sur plus de dix années plutôt pénibles», comme il l’écrit dans un livre retraçant son parcours, La Mémoire et la Folie1 (Ed. Odile Jacob). Même le prix Nobel, qui lui a été attribué en 1997, n’a pas mis totalement fin à cette animosité.

Hypothèse iconoclaste

Il est vrai que Stanley B. Prusiner a provoqué, comme il le dit, «une rupture» dans le domaine de la biologie. Au début des années 70, lorsqu’il a commencé à s’intéresser à la tremblante du mouton, il y avait pléthore de théories au sujet du facteur responsable de la maladie. La plus en vogue avançait qu’il s’agissait d’un virus «non conventionnel» que de nombreuses équipes s’acharnaient à identifier. Et voilà qu’un jeune neurobiologiste soutenait une hypothèse iconoclaste, déjà évoquée auparavant mais aussitôt abandonnée. Il prétendait que, contrairement à tous les agents pathogènes connus, le fauteur de trouble ne renfermait pas d’acides nucléiques (ADN ou ARN), c’est-à-dire qu’il était dépourvu de matériel génétique lui permettant de se reproduire.

Restait à le démontrer. Après avoir inoculé l’agent de la tremblante à des souris puis à des hamsters, après avoir longuement essayé, en vain, de le purifier, Stanley B. Prusiner, à son «grand émerveillement», a eu «enfin un résultat positif». Il a prouvé que l’agent contenait essentiellement une protéine, et sans doute rien d’autre. «Cela frisait l’impossible. Cela commençait à ressembler à de la science-fiction».

Le chercheur a décidé de soumettre ses résultats à la célèbre revue Science qui, après bien des hésitations, a publié son article en avril 1982. C’est alors qu’il a donné à l’agent pathogène le nom de «prion». Il a aussi suggéré que cette «protéine infectieuse» était responsable non seulement de la tremblante du mouton, mais aussi de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et du kuru (qui affecte les Fore, une population de Papouasie Nouvelle-Guinée).

La réaction de ses collègues a été très vive et, pour nombre d’entre eux, le chercheur américain était carrément «une source d’hérésie» (lire encadré). Mais Stanley B. Prusiner a tenu bon. Il a finalement réussi à identifier la protéine en question et constaté qu’elle était aussi présente dans les cerveaux «normaux». C’est alors qu’il a compris que cette protéine pouvait jouer à la fois le Dr Jekyll et M. Hyde: le «bon» prion, totalement inoffensif, pouvait changer de forme et, en se pliant d’une certaine manière, se transformer «en son double diabolique».

Collaboration et compétition

A travers son récit, le neurobiologiste décrit le long et fastidieux cheminement d’une recherche scientifique. Un travail qui implique de nombreuses collaborations entre équipes – y compris celle du Suisse Charles Weissmann, qui dirigeait alors l’Institut de biologie moléculaire de Zurich. Mais aussi une compétition féroce entre laboratoires, ponctuée de jalousies et de coups bas – un collègue a par exemple débauché deux collaborateurs de Stanley B. Prusiner, espérant qu’ainsi son «labo s’écroulerait!»

Il n’en a rien été et le neurobiologiste, lauréat du prix Nobel de médecine 1997, poursuit toujours sur sa lancée. Il s’attaque désormais à des pathologies neurodégénératives très répandues, comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, car il est persuadé que les prions y jouent un rôle majeur. On ne peut qu’espérer qu’une nouvelle fois il ait vu juste, car alors la «révolution des prions» qu’il a lancée pourrait aboutir, à terme, à la mise au point de diagnostics précoces et de thérapies efficaces contre ces maladies destructrices liées à l’âge.

Un chercheur hérétique

Il n’est pas facile de découvrir un concept révolutionnaire comme l’est le prion, cet agent pathogène radicalement nouveau. Stanley B. Prusiner en a fait l’expérience, lui qui a suscité une véritable animosité de la part de la plupart de ses collègues biologistes. Pour eux, il était «une source d’hérésie». «Les adjectifs utilisés pour me décrire à cause d’un mot à cinq lettres étaient surprenants. On disait que j’étais impulsif, présomptueux, imprudent, ambitieux, agressif, insensible, manipulateur et égocentrique.» Avec la crise de la vache folle, le terme de prion est entré dans le vocabulaire courant et l’apport de Stanley B. Prusiner a finalement été largement reconnu.

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1. La Mémoire et la Folie. La découverte des prions. Un nouveau paradigme biologique, de Stanley B. Prusiner, Ed. Odile Jacob, 2015.

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