Paracétamol: pourrait-il aussi aider à calmer l’anxiété?

Dernière mise à jour 17/05/13 | Article
Paracétamol: pourrait-il aussi aider à calmer l’anxiété?
Nous connaissons tous ce médicament très largement utilisé contre la fièvre et les douleurs. Une étude canadienne ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives.

Seul ou associé à d’autres molécules, le paracétamol est (depuis soixante ans) l’un des médicaments les plus consommés au monde. Indications: fièvres et douleurs (aiguës ou chroniques, d'intensité légère à modérée). C’est aussi, paradoxalement, une substance dont on ne connaît pas de manière très précise le mode d’action. Et rien ne dit que nous ne sommes pas ici à la veille de surprises. Généralement très bien toléré, disponible sans ordonnance, ce médicament présente un risque majeur: le surdosage dont les conséquences peuvent être graves, parfois fatales du fait notamment de sa toxicité hépatique.

Il faut savoir que les doses dangereuses sont très variables selon les personnes et la question se pose d’une toxicité au long cours. Récemment une étude a fait un lien entre la prise répétée de paracétamol et un risque anormalement élevé d’atteinte de la fonction auditive (voir à ce sujet notre article «Les médicaments antidouleurs rendent-ils sourds?»). En 2010, une équipe de toxicologues de Zurich a fait le point pour la Suisse sur cette question (comme on peut le voir ici).

«Les conseils du Centre Suisse d’Information Toxicologique (CSIT) sur les surdosages de paracétamol ont doublé entre 1995 et 2008, de 476 à 967 par an, bien que tous les conseils n’aient augmenté que de 12% pendant la même période, expliquaient-ils. Près de 40% des appels concernaient des enfants. 95% des surdosages étaient des prises aiguës, plus de 50% dans un but suicidaire, le reste accidentel. Bien que le paracétamol totalise quelque 10% des appels concernant des médicaments au CSIT les évolutions graves ou fatales sont rares. Mais il ne faut en aucun cas négliger l’éventualité de ces évolutions potentiellement fatales.»

Von Mering et la Veganine

Ces conseils demeurent d’actualité. Mais ils n’interdisent nullement de s’intéresser aux propriétés méconnues de cette molécule qui interpelle les chimistes depuis – au moins – cent vingt ans. Les historiens retiennent en effet que c’est en 1893 qu’un médecin allemand, le Dr Joseph von Mering, compara les propriétés antalgiques et antipyrétiques du paracétamol et de la phénacétine (un autre analgésique) ainsi que leurs toxicités respectives. Il tira de son étude la conclusion, fausse, que le paracétamol était plus dangereux que la phénacétine: la notoriété de Von Mering fera toutefois que ce jugement ne soit pas contesté. C’est ainsi que le paracétamol sera délaissé pendant un demi-siècle au profit de la phénacétine (largement employée dans les névralgies) finalement retirée du marché car toxique pour les reins.

Aujourd’hui ce sont trois chercheurs de l’Université de Colombie britannique (Vancouver, Canada) qui s’intéressent à nouveau au paracétamol.1 Leurs résultats valent que l’on s’y arrête: ils démontrent en substance que le paracétamol pourrait, dans certaines situations, aider à gérer des formes de détresse ou d’anxiété et à apaiser les souffrances nées de certaines émotions.

L’étude (aucun conflit d’intérêt déclaré) a consisté à former deux groupes d'étudiants en psychologie et à les placer face à deux situations génératrices d’angoisse existentielle : soit contempler sa propre mort, soit regarder un film de genre surréaliste aux effets particulièrement troublants du réalisateur David Lynch. «Il ne faut pas longtemps après le générique d'ouverture d'un film de David Lynch pour que le spectateur perçoive que quelque chose ne tourne pas rond», expliquent les auteurs pour justifier leur choix.

Contempler sa propre mort

Les 121 étudiants en psychologie (81 femmes et 40 hommes – en majorité d’origine asiatique) ont été recrutés moyennant une offre de quinze dollars. Deux groupes ont été constitués par tirage au sort. Dans le premier les participants devaient prendre une seule dose de paracétamol (1 g de Tylenol) ou une dose de placebo. Ils ont ensuite été invités à écrire un texte soit sur le thème du devenir de leur corps après leur mort, soit sur celui de leurs douleurs dentaires (groupe témoin).

Peu après, pour évaluer leur «besoin de compensation» à la détresse, ils ont été invités à lire un rapport d'arrestation d’une prostituée et à fixer le montant de sa caution (sur une échelle de 0 à 999 USD). C’est là une méthode qui peut surprendre, mais qui est utilisée aux Etats-Unis dans un certain nombre d'autres études de ce type.

Une vision du surréalisme

Avec une procédure similaire, 207 étudiants ont été répartis au hasard. Ils ont pris soit une dose de paracétamol soit un placebo. Ils ont ensuite visionné quatre minutes de Rabbits (2002) de David Lynch. Un film qui est présenté avec la mention: «Dans une ville sans nom sous le déluge d'une pluie sans fin, trois lapins vivent dans un mystère effrayant» (In a nameless city deluged by a continuous rain… three rabbits live with a fearful mystery). La musique, comme dans d'autres films de David Lynch, est l'œuvre du compositeur Angelo Badalamenti. Quant au groupe témoin, il devait regarder un épisode de la série d’animation Les Simpsons (le postulat était ici que celle-ci est moins surréaliste et moins inquiétante).

Cette fois, pour évaluer, un peu plus tard, leur «besoin de compensation» à la détresse, les participants ont été invités à fixer des sanctions en réponse à une émeute locale.

Angoisse existentielle

Au terme de nombreux calculs les chercheurs ont constaté que le paracétamol peut à lui seul (et à la différence du placebo) modifier (en «l’émoussant») la réaction psychologique normale au stress. Selon eux cette observation est valable que ce stress soit négatif ou positif (par exemple, recevoir une promotion surprise au travail). Ils reconnaissent aussi que leurs résultats soulèvent plusieurs questions qui ne pourraient trouver de réponses que grâce à l'emploi de techniques et de mesures psycho-physiologiques complémentaires. Des travaux pourraient aussi être, par exemple, menés en distinguant le fait que les volontaires croient ou non en Dieu, ou encore chez de jeunes enfants.

Mais dans l’attente de ces éventuels travaux à venir, les chercheurs canadiens estiment déjà apporter les preuves suffisantes que le paracétamol a un impact psychologique qui ne saurait rester ignoré, sinon exploité. Prudents, ils soulignent que leurs résultats ne doivent pas être interprétés comme un feu vert pour prendre du paracétamol en cas d’angoisse existentielle. Ce qui, malgré tout, n’est nullement interdit.

1. Ils viennent de publier leurs résultats dans la revue Psychological Science. On en trouvera ici un résumé (en anglais). On trouvera d’autre part ici (également en anglais) l’étude complète.