«La médecine fonctionnelle ne repose pas sur l’industrie du médicament chimique»

Dernière mise à jour 02/07/20 | Questions/Réponses
Pionnier de la médecine fonctionnelle en Europe, le Dr. Georges Mouton prend en charge des patients confrontés aux limites de la médecine classique. Colons irritables, troubles de la mémoire, syndromes de fatigue chronique, fibromyalgies font partie des affections qu’il tente quotidiennement de soigner dans son cabinet qui donne sur la célèbre Queen-Anne Street de Londres.

Texte: Malka Gouzer

«Certains estiment que je suis un placebo plus puissant qu’un médecin classique» affirme le Dr Mouton qui est habitué aux critiques. «Je n’ai rien contre la médecine classique, au contraire! J’estime qu’elle est nécessaire et complémentaire à ma pratique. Je ne rejette pas l’autre monde, c’est plutôt l’autre monde qui me rejette». La médecine fonctionnelle est en effet régulièrement dénigrée par la communauté scientifique qui l’estime dénuée de fondements rigoureux. A la clé, son manque d’essais randomisés contrôlés (ERC). Faut-il ou non discréditer les pratiques thérapeutiques qui ne sont pas soutenues par des ERC?  Est-ce que supplémenter un patient en sélénium nécessite la même rigueur que la prescription d’une chimiothérapie? Les essais randomisés contrôlés coûtent cher, prennent du temps et sont le plus souvent, directement ou indirectement, subventionnés par l’industrie pharmaceutique. Ainsi, les thérapies qui ne représentent pas ou peu d’intérêts financiers échappent aux ERC et se retrouvent de facto décrédibilisés par la communauté scientifique. C’est un problème. Une boîte de pandore que nous allons nous abstenir d’ouvrir pleinement aujourd’hui, mais que le Dr Mouton évoquera brièvement dans ce présent entretien. Mais avant cela, cap sur les principes de la médecine fonctionnelle que certains n’hésitent pas à appeler la médecine du futur.

L'essai randomisé contrôlé (ERC)

L’essai randomisé contrôlé est un type d’étude clinique expérimentale dont l’objectif est d’évaluer l’efficacité d’une thérapie, intervention ou médicament. Il comprend une sélection aléatoire des participants testés. Un groupe de participant appelé le groupe contrôle recevra un placebo ou un traitement différent de celui administré au groupe expérimental. L’ERC est considéré comme le gold-standard de la recherche médicale. La commercialisation d’un nouveau médicament doit systématiquement passer par un ou plus plusieurs ERC.

Qu’est-ce que la médecine fonctionnelle et en quoi diffère-t-elle de la médecine classique ou allopathique?

George Mouton : L’objectif de la médecine fonctionnelle, que certains appellent également médecine intégrative, le terme n’est pas fixe, est de régler les dysfonctions du corps avant qu’elles ne se transforment en maladies bien établies. C’est une pratique peu basée sur le médicament, sans pour autant l’exclure, et qui travaille essentiellement sur le renforcement de l’organisme. La médecine classique se dote davantage d’une approche symptomatique. Dans les maladies auto-immunes par exemple, elle ne traite pas la cause qu’elle ne recherche de toute façon pas, mais les symptômes. Elle recourt à des modulateurs de l’immunité, des stéroïdes ou des anti-inflammatoires qui anesthésient les symptômes, parfois de façon tout à fait remarquable- et impressionnante, mais qui ne règlent que rarement le problème dans la durée. Celui qui reçoit tous les quinze jours une injection qui coute 1000 euro payés par l’état ou son assurance ne dispose généralement pas de perspectives futures. Sa maladie n’a pas d’issue. S’il arrête son traitement, ses symptômes reviennent. S’il continue, il encourt le risque, à force de mettre son système immunitaire sous sourdine, de développer des effets secondaires d’une ampleur gigantesque. En médecine fonctionnelle, nous allons chercher l’issue hors de la pathologie en s’intéressant au terrain sur lequel elle s’est érigée. Le facteur causal est donc très important. Cela dit, je n’ai absolument rien contre la médecine classique qui est indéniablement remarquable. Je pense simplement que dans certaines situations, typiquement dans les maladies auto-immunes, il serait élégant que nous travaillions main dans la main.

L’intestin que vous définissez comme le premier cerveau joue un rôle central dans votre pratique. Pourriez-vous nous en dire davantage? 

(rire) Oui, il m’arrive en effet de forcer la note et d’appeler le cerveau le deuxième intestin ou l’intestin le premier cerveau. C’est qu’il existe toute une série de mythes urbains sur l’intestin qui sont en général faux. Comme le fait que le nerf vague transmet les informations du cerveau au système digestif alors que dans les faits c’est à peu près l’inverse. Heureusement, nous redécouvrons aujourd’hui l’importance de l’écosystème intestinal dans la santé, mais il fut un temps où son rôle avait été mis de côté. 5000 ans de savoir balayés d’un revers de main par la médecine classique. A présent nous y revenons. D’ailleurs si vous regardez du côté des médecines anciennes, comme en Inde avec l’ayurvéda ou dans la médecine chinoise, l’intestin a toujours occupé un rôle central dans la guérison.

Pourquoi l’intestin est-il si important dans la guérison?

Parce que le système immunitaire en dépend. L’écosystème intestinal se compose dans les grandes lignes, d’une paroi que l’on appelle la muqueuse et du microbiote, sa communauté microbienne. Quasiment étalé sous cette muqueuse, le système immunitaire. C’est là où se situe la majorité de nos cellules immunitaires. Ainsi, pour renforcer le système immunitaire d’un patient, nous allons systématiquement passer par l’intestin que nous allons tenter de renforcer. Dans ma pratique je travaille typiquement sur les déséquilibres du microbiote, appelés dysbioses, ainsi que sur la perméabilité intestinale.

En quoi la perméabilité intestinale est-elle préjudiciable?

Notre absorption digestive est sélective. Si nous avons par exemple un déficit en fer, notre intestin en absorbera plus, si nous avons de bonnes réserves de fer nous en absorberons moins. Il existe des transporteurs de fer qui seront plus ou moins stimulés et le fer traversera, suivant le besoin, la muqueuse intestinale ou non. Lorsque cette muqueuse est hyper perméable, elle laisse entrer tout et n’importe quoi. En d’autres termes, elle absorbe des aliments qui sont incomplètement digérés et que le système immunitaire ne reconnaît pas.  Or, à force d’être bombardé par des entités étrangères, le système immunitaire se met en surchauffe et développe des sensibilités ou hypersensibilités. Il commence dès lors à s’attaquer aux pollens (notamment) et aux protéines du soi déclenchant deux grandes familles de problèmes: les allergies et les maladies auto-immunes.

Chez 90% de vos patients vous prescrivez un régime sans gluten, pourquoi?

Parce que le gluten contient des protéines que l’on appelle les gliadines et qui augmentent la perméabilité intestinale. Ainsi, lorsque je travaille sur la réduction de la perméabilité intestinale, j’élimine de facto la consommation du gluten, du moins en un premier temps.

Comment se fait-il que nous ne parvenions pas à nous défendre des attaques de la gliadine?

Les causes sont vraisemblablement multifactorielles. L’intestin d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec l’intestin d’il y a 50 ans. Il a subi toutes sorte d’attaques qui n’existaient pas ou moins à l’époque. Antibiotiques, accouchement par césarienne, privation du lait maternel. Notre alimentation s’est elle aussi industrialisée avec les années. Le pain que nous mangeons aujourd’hui est préparé avec des céréales génétiquement modifiées. Et puis, il faut aussi savoir que le gluten est partout. Certaines personnes ingèrent du gluten à chaque fois qu’elles mangent. Si vous achetez un plat emballé comme une choucroute ou un cassoulet, vous aurez de fortes chances de tomber sur du gluten, alors que le gluten n’a pas lieu d’y être.  Maintenant je ne dis pas que le gluten est responsable de tout. Panoplie d’autres paramètres peuvent engendrer des inconforts et il ne faudrait surtout pas tout ramener au gluten. Néanmoins, lorsque je suis confronté à un patient auto-immun, comprenez que je vais lui enlever le gluten.

La médecine fonctionnelle souffre d’une mauvaise réputation au sein d’une partie de la communauté médicale. Pourquoi?

Nous entrons ici dans la dictature de l’essai randomisé contrôlé (ERC) qui fait partie du dogme du «tout médicament».  La médecine classique se pratique sur la base d’essais randomisés contrôlés et j’aimerais dire, heureusement. Parce que si vous prescrivez sans ERC une nouvelle molécule chimique que personne ne connaît et qui peut potentiellement engendrer des effets secondaires létaux, vous êtes un criminel. Alors que lorsque je supplémente un patient avec de la vitamine B2 parce que le patient manque de B2, je ne suis pas un criminel. Il est injuste de mettre des traitements parfaitement naturels et des traitements totalement chimiques sur le même pied. C’est un biais d’évaluation de la qualité scientifique qui est selon moi intolérable. Il existe une quantité énorme d’études scientifiques qui ne sont pas des ERC et qui font et ont fait avancer la médecine et l’humanité. De plus, Il n’y a pas un geste dans mon activité médicale qui ne puisse être justifié par toute une série d’études. Tous ce qui n’est pas documenté, je m’en abstiens. Alors bien sûr que je préfèrerais avoir des ERC pour soutenir la supplémentation de B2 ou de vitamine K chez un patient mais je n’ai pas besoin d’un ERC pour le faire.

Ne pourriez-vous pas obtenir des ERC pour appuyer la crédibilité de votre pratique?

Il faut comprendre que la médecine fonctionnelle ne repose pas sur l’industrie du médicament chimique. Son objectif, au contraire, est d’en faire le moins possible usage, sans pour autant l’éviter. Nous utilisons principalement des produits naturels qui ne représentent pas ou peu d’intérêt pour l’industrie pharmaceutique. Donc dans un sens, la médecine fonctionnelle dérange. Elle n’est pas ou très peu soutenue par la puissance financière de l’industrie pharmaceutique qui subventionne la majorité des ERC. Nous possédons néanmoins des études qui sont adoubées par des ERC, mais il s’agit en effet d’une minorité. La médecine fonctionnelle est aussi multiparamétrique. Lorsque je recommande un programme comportant plusieurs nutriments plus des changements alimentaires et du style de vie, son effet se répercutera sur toute une série de paramètres. Pour démontrer cet effet, il faudrait donc réaliser 5, 10, voire 20 ERC différents, ce qui serait hors de prix. De plus, je suis loin d’être persuadé que chacun de ces moyens thérapeutiques serait à même de démontrer son efficacité réelle dans la mesure où c’est l’intégration simultanée de tous ces moyens thérapeutiques qui nous intéresse. Comme je l’ai dit plus haut, la médecine fonctionnelle se dote d’une approche plus causale que symptomatique. Elle s’intéresse au terrain sur lequel s’est érigé le symptôme plutôt que le symptôme même. Je serais ravi de pouvoir posséder des ERC pour augmenter la crédibilité de ma pratique, mais je ne pense pas qu’il soit sain de limiter la science aux ERC qui sont l’apanage des compagnies pharmaceutiques.

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