L’aspirine protège-t-elle de l’infarctus?

Dernière mise à jour 29/11/18 | Article
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Deux études viennent de le confirmer: si on est en bonne santé, prendre régulièrement de l’aspirine pour prévenir les accidents cardiovasculaires fait plus de mal que de bien. En revanche, le médicament est recommandé aux personnes qui ont déjà eu un infarctus ou un AVC.

Rares sont ceux qui n’ont jamais pris d’aspirine pour soulager un mal de tête ou des douleurs musculaires, ou encore pour combattre la fièvre ou une inflammation. Ce médicament est en effet connu depuis longtemps pour ses effets antalgiques et anti-inflammatoires. Dans les années 70, un nouvel horizon s’est ouvert à l’aspirine quand on a découvert qu’elle empêche l’agrégation des plaquettes sanguines. «Lorsque vous vous coupez, ces composants du sang se collent à la brèche et s’agglutinent pour arrêter le saignement», explique Pierre Fontana, responsable de l’Unité et du Laboratoire d'hémostase aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). Ce mécanisme évite les saignements, mais en cas de maladie cardiovasculaire, il joue un rôle néfaste. En effet, quand des plaques de cholestérol accumulées sur la paroi interne d’une artère se brisent, les plaquettes s’y agrègent et bouchent complètement le vaisseau, provoquant un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral (AVC).

De là est née l’idée de tirer parti des propriétés antiplaquettaires de l’aspirine pour prévenir ces accidents cardiovasculaires. Certains médecins conseillent ainsi à leurs patients de plus de 55 ans de prendre quotidiennement un cachet de médicament à faible dose – en Suisse, dans la grande majorité des cas, il s’agit de 100 mg, soit cinq fois moins que ce que renferment les comprimés habituellement utilisés pour soulager la douleur.

Un important prix à payer

Un médicament vieux comme la médecine

L’usage de ce que l’on nomme aujourd’hui l’aspirine remonte aux débuts de la médecine. Au IVe siècle avant J.-C., Hippocrate recommandait déjà de consommer une décoction à base d’écorce de saule blanc pour apaiser la fièvre et la souffrance. Il a toutefois fallu attendre le début du XIXe siècle pour que la substance naturelle bénéfique (la salicyline) soit isolée et transformée en acide acétylsalicylique, le principe actif du médicament qui a été commercialisé par les laboratoires Bayer en 1899 sous la marque Aspirin. Le terme est désormais passé dans le langage commun et le succès du médicament ne s’est jamais démenti, puisque sa consommation mondiale annuelle est estimée à 40’000 tonnes, ce qui représente 130 milliards de comprimés de 300 mg.

Est-ce vraiment efficace? Tout dépend de l’état de santé cardiovasculaire des personnes auxquelles on s’adresse. Donner de l’aspirine en prévention primaire, c’est-à-dire à des individus qui n’ont jamais souffert d’infarctus ou d’AVC, «n’est pas recommandé par les dernières directives de la Société européenne de cardiologie», souligne Marco Roffi, chef de service suppléant au Service de cardiologie des HUG et responsable de l’Unité de cardiologie interventionnelle. Car si l’aspirine diminue légèrement la survenue d’infarctus et d’AVC, «le prix à payer est une augmentation du risque d’hémorragies gastro-intestinales». Les bénéfices étant modestes et les effets indésirables importants, «cela fait plus de mal que de bien», résume Pierre Fontana. C’est ce que vient d’ailleurs de confirmer l’étude internationale ARRIVE, publiée en août dernier, au cours de laquelle l’aspirine a été testée en prévention primaire pendant cinq ans auprès de 12’500 personnes de plus de 55 ans ayant un risque cardiovasculaire faible ou modéré.

Les nouvelles décevantes n’arrivant jamais seules, l’étude britannique ASCEND, elle aussi rendue publique en août, a enfoncé le clou. Elle concernait 15’000 patients diabétiques, sans maladie cardiovasculaire, et elle a conclu que l’administration d’aspirine pendant plus de sept ans en moyenne «diminuait de 12% le risque d’accident cardiovasculaire, mais augmentait de 29% le risque de saignements majeurs», résume Pierre Fontana. Toutefois, selon lui, «il faut toujours faire la balance entre les conséquences d’une hémorragie non fatale – par exemple suite à un ulcère de l’estomac – et celles d’un AVC, avec une incapacité pouvant durer tout le reste de sa vie».

D’autant que l’aspirine pourrait aussi avoir un effet protecteur contre le cancer du côlon (lire encadré).

Reste le cas des personnes qui, sans être diabétiques, sont menacées d’un accident cardiovasculaire, car elles fument, sont sédentaires, ont de l’hypertension, un taux de cholestérol trop élevé et/ou un excès de poids. «Pour elles, la question des bénéfices de l’aspirine reste ouverte», constate le spécialiste de l’homéostase. «Il ne faut pas fermer la porte, renchérit Marco Roffi. Toutefois, jusqu’ici, on n’a pas identifié les patients à risque qui pourraient, sans équivoque, tirer bénéfice de cette prévention primaire». Des études actuellement en cours pourront peut-être le préciser.

Recommandé après un infarctus

En revanche, s’il est un domaine où l’ingestion d’une faible dose quotidienne d’aspirine a fait ses preuves, c’est celui de la prévention dite «secondaire», qui concerne cette fois les personnes ayant déjà souffert d’un infarctus ou d’un AVC. Le médicament «réduit le nombre de récidives et diminue la mortalité», précise le cardiologue des HUG. Autant dire que, dans ce cas, «les bénéfices sont largement supérieurs aux risques», dit Pierre Fontana. Cela vaut pour les patients de tous âges, «à l’exception de ceux qui prennent des anticoagulants, car l’association de ces médicaments et de l’aspirine accroît significativement les saignements», précise Marco Roffi. Pour ceux – «beaucoup moins nombreux qu’on le croit», selon lui – qui sont allergiques à l’aspirine, il existe une alternative: un autre antiplaquettaire, le clopidogrel. Les médecins ont aussi une solution pour les patients ayant un ulcère de l’estomac et qui ont un plus grand risque de saignement associé à l’aspirine: ils associent à celle-ci un IPP (inhibiteur de la pompe à proton) utilisé pour traiter l’acidité gastrique.

Les maladies cardiovasculaires restant la première cause de mortalité en Suisse, l’aspirine a de beaux jours devant elle.

L’aspirine protégerait contre le cancer du côlon

L’aspirine a décidément de multiples vertus: elle protégerait aussi contre le cancer du côlon. Dans ce domaine, commente Pierre Fontana, responsable de l’Unité et du Laboratoire d'hémostase des HUG, «elle semble avoir un effet bénéfique. Toutefois, celui-ci ne se manifeste qu’à long terme, lorsque l’on a pris régulièrement ce médicament pendant au moins cinq à dix ans».

Par quel mécanisme l’aspirine intervient-elle dans l’affaire? Les chercheurs en sont encore réduits aux hypothèses. L’aspirine «pourrait agir sur la muqueuse intestinale et modifier le fonctionnement de ses cellules qui seraient alors moins susceptibles de devenir cancéreuses», précise le médecin. Elle pourrait aussi opérer par l’intermédiaire des plaquettes sanguines: «En empêchant leur fonctionnement, elle limiterait la génération de microvésicules plaquettaires qui pourraient favoriser le cancer».

Quoi qu’il en soit, comme le suggère en riant Pierre Fontana, nul ne songe à «mettre de l’aspirine dans l’eau du robinet» pour diminuer les cas de cancer du côlon dans l’ensemble de la population. En revanche, le médicament pourrait être utilisé à titre préventif chez des personnes à haut risque de développer ces tumeurs. Notamment chez les patients atteints du syndrome de Lynch (une maladie génétique) chez qui son pouvoir protecteur a été clairement mis en évidence.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 07/10/2018.

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