Trisomies 13 et 18: grosses divergences sur la «qualité de vie»

Dernière mise à jour 07/08/12 | Article
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S’intéresser aux personnes porteuses d’une anomalie chromosomique n’est jamais une chose très facile. Des chercheurs de Montréal l’ont fait. Ils ont cherché à évaluer de quelle manière les parents perçoivent ce qu’il en est de la «qualité de vie» de leur enfant trisomique. Puis, ils ont fait de même avec les médecins prenant en charge ces mêmes enfants. Les résultats donnent amplement matière à réflexion.

La toute récente publication dans Pediatrics d’une étude consacrée aux enfants porteurs d’une anomalie chromosomique soulève quelques questions importantes. Moins sur ce que sont ces anomalies (il s’agit de trisomies bien connues des généticiens) que sur les différents regards que l’on peut porter sur ce que vivent ceux qui en sont atteints. Ce travail original a été mené par le Dr Annie Janvier, spécialiste de néonatologie au Centre universitaire Sainte-Justine et de l'Université de Montréal. Elle a travaillé en collaboration avec le Dr Benjamin S. Wilfond (Treuman Katz Center for Pediatric Bioethics, University of Washington School of Medicine, Seattle) ainsi qu’avec Barbara Farlow, mère d’un enfant décédé de la trisomie 13 (Patients for Patient Safety Canada, Mississauga, Ontario).

Les trois auteurs se sont intéressés à des enfants porteurs de trisomie 13 (syndrome de Patau) ou de trisomie 18 (syndrome d’Edwards). Ils ont interrogé 332 parents qui vivent (ou qui ont vécu) avec 272 enfants atteints de ces trisomies. Étant donné la rareté des cas de trisomie 13 ou 18, les parents ont été recrutés en passant par les groupes de soutien en ligne que les parents peuvent rejoindre une fois le diagnostic porté. Il apparaît en substance que l’expérience de ces parents diverge de manière importante de ce que les professionnels de santé peuvent percevoir et rapporter.

L'incidence de ces deux types de trisomie est d’environ 1 sur 8000 à 1 sur 10000 naissances. A la différence de la trisomie 21, elles sont associées à des malformations très importantes qui réduisent considérablement l’espérance de vie des enfants atteints. Ces enfants ne vivent en général que quelques jours à quelques semaines. Leur survie peut être plus longue. Elle est alors fréquemment associée à un retard mental très sévère et à des malformations cardiaques. Lorsque le diagnostic de ces trisomies est porté chez le fœtus, de nombreux parents décident d'interrompre la grossesse. D'autres ne font pas ce choix. Dans ce cas, les fausses couches sont fréquentes.

«Comme les enfants avec trisomies 13 ou 18 reçoivent généralement des soins palliatifs à la naissance, certains parents qui choisissent de poursuivre la grossesse ou qui souhaitent des interventions pour prolonger la vie de leur enfant se heurtent aux préjugés du système médical. À ce propos, les parents interrogés dans le cadre de l’étude jugent que les soignants voient souvent leur enfant comme étant un diagnostic (“un T13”, “une trisomie létale”) plutôt qu’un bébé unique, résument les auteurs de ce travail. Les enfants atteints de trisomie 13 ou 18, pour la plupart lourdement handicapés et ayant une très courte espérance de vie, et leur famille vivent une expérience globalement heureuse et enrichissante, contrairement aux prédictions habituellement sombres formulées par la communauté médicale au moment du diagnostic. L’expérience des parents diverge considérablement de ce que prévoyaient les prestataires de soins de santé, selon lesquels leur enfant aurait été  “incompatible avec la vie” (87 %) ou “légume” (50 %), aurait mené “une vie empreinte de souffrance” (57 %) ou aurait “détruit leur famille ou leur couple” (23 %).»

Ainsi, cette étude met-elle en lumière le fait que les médecins et les parents peuvent avoir une conception différente de ce qu’on appelle la «qualité de vie»? «Dans la littérature médicale, pour tous les handicaps, les patients handicapés – ou leur famille – jugent leur qualité de vie comme étant supérieure à celle perçue par les soignants», souligne le Dr Janvier. Dans le cas de cette étude, les parents qui, après le diagnostic de trisomie 13 ou de trisomie 18, joignent un groupe de support parental acquièrent souvent une image de ces diagnostics plus positive que les prédictions véhiculées par le corps médical. Ceux qui ont été interrogés expliquent que faire partie d’un groupe de soutien a contribué à leur faire voir leur expérience de façon positive. «Notre étude révèle que certains parents ayant choisi la voie de l’acceptation et de l’amour d’un enfant handicapé ayant une courte espérance de vie ont trouvé bonheur et enrichissement», résume Mme Farlow. «J’espère que ce savoir rendra les médecins plus aptes à comprendre les parents, ainsi qu’à communiquer et à décider avec eux.»

Sur ce dernier point, on peut citer une étude menée en France par des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée en 2009 qui mettait en lumière la très mauvaise compréhension d’une fraction importante des femmes enceintes quant aux procédures du dépistage prénatal (sanguin puis échographique) de la trisomie 21. Or ce dépistage impose qu’un consentement écrit soit obtenu au terme d’une démarche d’information du corps médical. Ce travail avait été publié dans la revue Prenatal Diagnosis.

Il avait alors été mené par Valérie Seror, chargée de recherche dans l’Unité Inserm 912 et Yves Ville et cheffe du service de gynécologie-obstétrique de l’Hôpital Necker-Enfants Malades. A partir d’une enquête menée auprès de femmes ayant accouché dans une maternité des Yvelines entre avril et octobre 2005, il est apparu qu’environ 40% des femmes chez lesquelles ce dépistage avait été pratiqué n’avaient pas conscience qu’elles pourraient être confrontées à la décision de ne pas poursuivre leur grossesse, que plus de 50% n’avaient pas pensé au fait que le dépistage pouvait aboutir à une amniocentèse et qu’environ 30% ne comprenaient pas les résultats du dosage sanguin.

«Si les femmes enceintes peuvent considérer que les prises de décision relatives à leur suivi de grossesse sont du ressort du médecin, il est en revanche discutable qu'elles n'aient pas conscience des implications potentielles du dépistage, notamment la possibilité d’avoir à décider de la poursuite ou de l’arrêt de la grossesse» précisait Valérie Seror. Il ne s’agissait pas, pour les auteurs, de condamner l’attitude des femmes, mais bien de chercher à accompagner le dépistage par une information adaptée leur permettant des prises de décision en accord avec leurs valeurs.

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