L’expertise médicale, parfois une étape nécessaire

Dernière mise à jour 21/11/18 | Article
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Contester une prise en charge médicale peut arriver à tout patient. Recourir alors à une expertise médicale est très souvent une étape nécessaire pour pouvoir prouver qu’il y a eu violation des règles de l’art. Explications.

Lorsque le patient considère qu’une prise en charge médicale n’a pas été effectuée convenablement et qu’il entend –le cas échéant– demander une indemnisation pour le préjudice subi, il fait face à une difficulté de taille : ni lui, ni un éventuel juge saisi du litige, n’ont les connaissances suffisantes pour appréhender la question de la violation des règles de l’art, reprochée au médecin en cause. La mise en évidence d’une violation des règles de l’art est toutefois essentielle puisqu’il s’agit en quelque sorte –et sous réserve du non-respect du consentement libre et éclairé– de la «clef de voûte» de la responsabilité civile médicale.

Dans cette situation, le regard d’un professionnel de la spécialité médicale en question permet souvent d’apporter l’éclairage nécessaire. Ce sera là le rôle de l’expert médical.

L’expertise extrajudiciaire

Lorsque le patient suspecte une faute de diagnostic ou de traitement, il peut s’adresser au Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH afin qu’une expertise soit réalisée1. Cette manière de faire permet d’obtenir un avis circonstancié sur la réalité des reproches, et permet donc au patient d’évaluer les chances de succès d’éventuels pourparlers transactionnels ou d’une procédure judiciaire en dommages-intérêts.

Le Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH facilite la mise en œuvre de l’expertise en se chargeant de trouver un expert du domaine de spécialité concerné et en coordonnant l’ensemble des échanges entre les parties. Le médecin membre de la FMH est quant à lui tenu de participer à la procédure d’expertise, sous peine de sanctions déontologiques. Ce type d’expertise est relativement peu onéreux pour le patient puisque seul un émolument forfaitaire de CHF 1’080.- est exigé par le Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH2, le solde des frais et honoraires de l’expert étant pris en charge par l’assureur responsabilité civile du médecin concerné.

La demande d’expertise extrajudiciaire FMH n’est pas pour autant une simple formalité.

Il s’agit en effet pour le patient d’indiquer les parties concernées, d’établir un historique du traitement, de formuler les reproches quant à la prise en charge litigieuse et de joindre le dossier médical. Au préalable, le patient devra obtenir une prise de position commune du médecin et de l’assureur responsabilité civile. De plus, si le traitement a été effectué dans un hôpital ou une clinique, et que la responsabilité de l’établissement devait être mise en cause, le patient devra obtenir l’accord de l’établissement pour que la mission d’expertise FMH soit réalisée. Au vu de ce qui précède, il n’est donc pas rare que le patient sollicite le concours d’un avocat pour rédiger la demande d’expertise extrajudiciaire FMH et assurer le suivi jusqu’à ce que le rapport soit rendu.

Faute médicale dans un tiers des cas

On relèvera encore que selon les statistiques publiées par le Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH pour l’année 2016, environ un tiers des expertises extrajudiciaires FMH (31.5%) ont mis en évidence une faute médicale. Dans ces situations où une faute médicale est avérée, et si l’assurance responsabilité civile du médecin n’entre pas en matière sur un dédommagement, le patient n’aura d’autre solution que de saisir la justice. Malheureusement, en cas de procédure judiciaire, l’expertise extrajudiciaire FMH n’a –comme toute expertise privée– pas plus de valeur probante qu’une simple allégation de partie3, ce malgré le fait qu’elle a été menée dans le cadre «institutionnel» de la FMH et que les parties ont été entendues par l’expert.

L’expertise judiciaire

À moins que la partie adverse ne conteste pas le contenu et les conclusions de l’expertise FMH, il sera en principe nécessaire pour le patient –à qui incombe le fardeau de la preuve (art. 8 du Code civil)– de solliciter du Juge saisi du litige la mise en œuvre d’une expertise judiciaire.

L’expertise judiciaire obéit à des règles procédurales très strictes (art. 183ss du Code de procédure civile), en particulier le fait que les parties ont la possibilité de s’exprimer sur les questions à poser à l’expert, de poser des questions complémentaires et peuvent questionner l’expert oralement sur la teneur de son rapport au cours d’une audience. Contrairement à l’expertise privée, l’expertise judiciaire lie en principe le juge. La jurisprudence enseigne à ce titre que les tribunaux ne doivent pas s’écarter d’une expertise judiciaire sans motifs pertinents. S’ils s’en écartent, ils doivent motiver suffisamment leur opinion divergente sous peine de verser dans l’arbitraire.4

Les frais de l’expertise judiciaire sont avancés par la partie qui la demande, mais suivent en définitive le sort de la cause au moment du jugement, c’est-à-dire qu’ils peuvent être mis entièrement à la charge du patient demandeur s’il succombe.

Si l’expertise extrajudiciaire de la FMH est une étape importante pour l’évaluation de la réalité de reproches formulés à l’encontre d’un médecin s’agissant du diagnostic ou du traitement, elle n’est souvent pas suffisante pour obtenir gain de cause devant les tribunaux. La pratique démontre en effet qu’en cas de procédure judiciaire, et vu les règles sur le fardeau de la preuve, le patient devra fréquemment solliciter la mise en œuvre d’une expertise judiciaire pour tenter d’établir la violation des règles de l’art.

___________

1. https://www.fmh.ch/fr/services/bureau_expertises.html

2. Contrairement à une expertise effectuée hors du cadre de la FMH où le patient devra –en principe et sous réserve d’un accord contraire– régler l’ensemble des frais. Ils pourront toutefois être inclus dans le montant du préjudice à réclamer au responsable civil en cas de faute avérée.

3. ATF 135 III 670 consid. 3.3.1.

4. ATF 130 I 337 consid. 5.4.2, JdT 2005 I 95, 103s.

Paru dans Planète Santé magazine N° 31 - Octobre 2018

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