Don du sang et homosexualité: levée progressive des interdits

Dernière mise à jour 20/01/16 | Article
Don du sang et homosexualité: levée progressive des interdits
Après la France et les États-Unis, un nombre croissant de pays annoncent la fin de l’interdiction faite aux homosexuels masculins de donner leur sang. Cette décision est accompagnée de nombreuses précautions. Explications.

Fin décembre 2015, les autorités sanitaires américaines ont annoncé qu’elles supprimaient l’interdiction faite aux hommes «ayant des relations sexuelles avec des hommes» de donner leur sang1. La France avait, quelques semaines auparavant, fait une annonce similaire. Pour autant, dans les deux pays, cette décision est conditionnée au respect d’une abstinence sexuelle d’un an préalable à tout don. Pour parvenir à ce choix, les autorités sanitaires ont expliqué avoir pris en considération plusieurs données récentes telles que des études sur l’épidémiologie ou les rapports d’autres pays ayant déjà changé leur politique sur le don du sang des homosexuels.

Les États-Unis et la France, comme l’ensemble des pays développés, avaient prononcé les premières interdictions de don du sang à compter de l’année 1983 lorsqu’il fut établi que la transmission de l’agent pathogène VIH pouvait se faire par les voies sanguine et sexuelle.

Pays européens réticents

Des décisions similaires ont déjà été prises et mises en œuvre ces dernières années dans différents pays: l’Australie, le Japon, la Hongrie, le Royaume-Uni, la Suède, le Canada, la Finlande ou la Nouvelle-Zélande. En revanche, la quasi-totalité des pays du Vieux Continent demeurent sur le modèle de la contre-indication permanente. Aux États-Unis, l’interdiction de donner son sang continuera de s’appliquer aux «travailleurs du sexe» et aux toxicomanes usant de la voie intraveineuse.

Dans les deux pays, cette autorisation a paradoxalement été vivement critiquée par certains défenseurs des droits des homosexuels. Ils estiment que les précautions d’abstinence qui y sont associées constituent une forme de discrimination. Ils considèrent que les responsables sanitaires ne tiennent pas compte des nouvelles technologies de dépistage du VIH et perpétuent ainsi le stéréotype selon lequel tous les hommes gais et bisexuels sont intrinsèquement dangereux.

En France, la décision prendra effet à compter du 1er juin 2016. Les homosexuels pourront alors donner leur sang à condition d’assurer lors de l’entretien préalable au don de ne pas avoir eu de relations sexuelles (même protégées) depuis douze mois. Cette décision a été élaborée, non sans difficultés, après un travail original qui a réuni les autorités sanitaires et les nombreuses associations de donneurs, de patients et de personnes homosexuelles. Il s’agit d’un travail sans précédent mené sous l’autorité du Pr Benoît Vallet, Directeur Général de la Santé.

Équation sanitaire et politique

Ce travail devait parvenir à résoudre une équation sanitaire et politique complexe. Il devait mettre un terme à ce qui pouvait être perçu et vécu comme une discrimination tout en maintenant le niveau de sécurité du système transfusionnel français (avec la disparition du risque de transmission du VIH). En France, c’était un arrêté qui fixait les critères de sélection des donneurs de sang. Dans la liste des contre-indications figurait le fait d’être «un homme ayant eu des rapports sexuels avec un homme». C’était là une contre-indication absolue et définitive, à rapprocher des autres motifs d’exclusion du don du sang de nature sexuelle. «Lorsque vous changez de partenaire, vous devez attendre un délai de quatre mois pour donner votre sang même si vous avez utilisé un préservatif. D’une manière générale, lorsque vous avez un nouveau partenaire sexuel, il faut attendre un délai de quatre mois après le dernier rapport non protégé pour pouvoir donner votre sang» explique-t-on ainsi lors de l’interrogatoire préalable au don établi par l’Établissement français du sang.

Le souhait des associations de personnes homosexuelles s’opposait à l’analyse de nombreux responsables de virologie et de sécurité sanitaire. En effet, ceux-ci observaient que la circulation du VIH demeurait élevée dans les communautés homosexuelles françaises et que, de ce fait, le risque de transmission virale par transfusion l’était tout autant en dépit des mesures de dépistage systématiquement mises en œuvre. Interrogé sur ce point par Marisol Touraine, le Comité national français d’éthique avait lui aussi émis les plus grandes réserves2.

Démocratie sanitaire

L’exercice français de démocratie sanitaire a consisté à réunir l’ensemble des acteurs concernés: les associations de donneurs de sang, de patients, de personnes homosexuelles ainsi que les «opérateurs» sanitaires (l’Agence nationale de sécurité du médicament, l’Institut de Veille sanitaire et l’Établissement français du sang). Différents scénarios ont alors été étudiés et discutés portant notamment sur le délai d’ajournement entre le dernier «rapport sexuel entre hommes» et le don du sang. C’est, au final, un délai d’ajournement de douze mois (et non de quatre mois, hypothèse un moment évoquée) qui est apparu être la meilleure solution selon les données épidémiologiques.

«Il n’y a pas, à ce stade, de données suffisantes pour démontrer l’absence d’augmentation du risque transfusionnel VIH pour un délai inférieur à douze mois» soulignent les autorités sanitaires françaises. Toutefois, il est possible de faire un don de plasma seul (plasmaphérèse) avec un délai d’ajournement de quatre mois.

L’équivalent de trois jours de dons

À ceux qui pourraient s’étonner de la mesure retenue et des difficultés pratiques de sa mise en œuvre, les autorités sanitaires rappellent que le don du sang n’est pas un droit mais une forme d’exercice de solidarité biologique qui impose des règles et des devoirs vis-à-vis des receveurs. Elles expliquent également que le modèle actuel n’est pas sans failles (entre 2011 et 2014, on a identifié et exclu 24 dons séropositifs au VIH) mais qu’il a néanmoins permis d’obtenir une réduction quasi-totale du risque de contamination post-transfusionnelle par le virus du sida.

En pratique, les autorités sanitaires françaises estiment, sur la base de données datant de 2006, que les dispositions qui entreront en vigueur le 1er juin 2016 permettront d’augmenter de près de 40000 le nombre de dons du sang et de plasma. Cela représentera l’équivalent de trois jours de dons qui aideront à atteindre l’objectif d’autosuffisance nationale.

________

1. Communiqué de presse (en anglais) de la Food and Drug Administration américaine donnant tous les détails sur cette décision: “FDA updates blood donor deferral policy to reflect the most current scientific evidence and continue to ensure the safety of the U.S. blood supply

2. Avis du Comité national français d’éthique: «Questionnement éthique et observations concernant la contre-indication permanente du don de sang pour tout homme déclarant avoir eu une ou des relation(s) sexuelle(s) avec un ou plusieurs homme(s)»

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