Réserves des caisses-maladie: un imbroglio qui coûte cher aux Romands

Dernière mise à jour 19/09/12 | Article
Un imbroglio qui coûte cher aux Romands
La question des réserves des caisses-maladie est une grosse épine dans le pied de notre système de santé. Au travers de ces réserves, les assurés de plusieurs cantons, romands en particulier, ont payé des primes trop élevées pendant plusieurs années, subventionnant ainsi indirectement les assurés d’autres cantons.

A la fin de l’année 2009, l’excédent de réserves pour l’ensemble des caisses-maladie accumulé dans huit cantons atteignait 1,8 milliard de francs, tandis que les dix-huit autres cantons étaient en sous-couverture (réserves insuffisantes, donc) pour un montant de 1,25 milliard. Comme les réserves ne sont pas cantonales, les assureurs en disposent à leur guise, en l’occurrence, pour compenser le niveau insuffisant des primes dans les petits cantons de l’Est de la Suisse, mais aussi dans le canton de Berne. Les plus lésés sont les cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel, Thurgovie et Zurich.

Cet état de fait, qui a indigné les assures romands, soulève deux problèmes: comment rembourser ce qui a été payé en trop? Et comment éviter que de telles distorsions entre cantons se reproduisent? Au printemps 2011, le Ministre de la santé d’alors, Didier Burkhalter, annonçait que l’excédent serait remboursé à la population par le biais des rétrocessions des recettes des taxes sur le CO2, pendant six ans. Les assurés des cantons qui n’avaient pas assez payé devraient, eux, assumer un supplément de primes. Globalement, les cantons ayant trop payé auraient retrouvé la moitié des sommes payées en trop, un remboursement effectué par ailleurs de manière homéopathique (puisque ventilé sur six ans).

Dans un premier temps, la Conférence des directeurs sanitaires – les ministres de la santé des cantons – avait accepté la formule proposée par le Conseil fédéral. Comme l’explique le Président du Conseil d’Etat genevois, Pierre-François Unger, «tout ceux qui payaient trop ont voté en faveur de cette loi, et ceux qui ne payaient pas assez se sont abstenus, ce qui était relativement élégant de leur part.» Cette belle harmonie n’a pas duré, poursuit Pierre-François Unger: «Au moment où les cantons ont appris que la question allait être traitée par le Conseil des États, chambre des cantons, de manière extrêmement lâche et sournoise, ces cantons, qui sont nos débiteurs, ont écrit pour dire qu’ils s’opposaient à la loi, alors même qu’ils s’étaient abstenus précédemment. Cela a jeté un froid au Conseil des États, et on a donc remis l’ouvrage sur le métier. Les directeurs sanitaires en ont rediscuté en mai dernier. Les fronts étaient clairs et opposés: d’un côté, une faible majorité de cantons qui étaient contre la loi, ouvertement cette fois, et d’un autre côté des cantons qui comprenaient que ce n’était pas cher payer qu’on récupère auprès d’eux, sur une période allant de cinq à six ans, la moitié de ce qu’ils n’avaient pas payé.»

Une grave entorse au fédéralisme

Devant cette impasse politique, les cantons qui paient trop n’entendent pas lâcher le morceau, et menacent même de remettre en cause la péréquation financière entre les cantons – et c’est là un gros bâton que brandissent les ministres romands de la santé: «Les cantons qui ont trop payé feront tout pour qu’on trouve une solution qui convienne à tous, explique Pierre-François Unger; mais les autres doivent comprendre que de bénéficier de sommes qu’ils n’ont pas payées et qui leur sont indues constitue une très grave entorse au fédéralisme. Car on parle de montants qui ne sont pas négligeables: c’est un flux de 1,5 milliard qui est en jeu, un milliard et demi payé en trop par certains, un milliard et demi qui bénéficie à ceux qui ne l’ont pas payé. J’espère que les cantons débiteurs seront sensibles à cette atteinte très grave au fédéralisme, susceptible de produire des quantités de disputes à l’échelle des cantons, ce qui serait calamiteux à un moment ou l’importance de l’unité des cantons est tout à fait fondamentale pour être crédibles face à la Confédération. Si les cantons n’arrivent pas à avoir un front uni, que ce soit devant les Chambres ou le Conseil fédéral, ils se feront découper en morceaux. Et les “heureux bénéficiaires” de montants indus s’en mordront les doigts tôt ou tard, car cela remettra en cause la péréquation financière intercantonale, dans tous les domaines.»

«Manque de fair-play»

Le discours est tout aussi ferme du côté de Lausanne, où le Président du gouvernement et Ministre de la santé, Pierre-Yves Maillard, s’insurge: «Si on nous impose de supporter cette perte d’un demi-milliard en nous disant de la passer par pertes et profits, comment peut-on demander aux mêmes cantons de payer davantage à la RPT (Péréquation financière et répartition des tâches entre la Confédération et les cantons), au nom de la solidarité intercantonale? Dès 2013, Zurich, Genève et Vaud sont appelés à verser, qui 30 millions supplémentaires (Vaud), qui entre 50 et 100 millions (Genève et Zurich). A un moment donné, ça ne va plus marcher. Si on cesse de considérer que les bons comptes font les bons amis, il y a des risques de contagion. Que se passerait-il si tout d’un coup, Genève, Zurich ou Vaud ne payait plus la RPT, soit des centaines de millions par année? Tout cela repose sur le fair-play.»

Pour l’heure, personne ne sait ce que deviendra le pactole des réserves excédentaires payées par les cantons romands, entre autres. Et personne non plus ne sait comment le parlement pourra se mettre d’accord pour corriger les défauts inhérents à la législation actuelle sur les réserves. «On est dans une impasse, constate Pierre-Yves Maillard, mais on ne peut pas se permettre d’y rester. On est parti d’un problème peut-être secondaire, mais choquant au vu des montants impliqués.»

«On parle de montants qui ne sont pas négligeables. C’est un flux de 1,5 milliard de francs qui est en jeu.»

Adapter les primes aux coûts

Comment faire pour que les primes correspondent désormais aux coûts générés par les assurés dans les cantons? En réglant ce problème, on réglerait aussi celui des réserves. Pierre-François Unger relève que « ce qu’on voit avec les chiffres 2011 pour Genève, c’est que nous avons eu des hausses de primes de 3,2%, pour une hausse des coûts de 1,8%. Il y a donc 1,4% supplémentaire qui sont entrés dans les réserves, alors que nous avons déjà 450 millions de réserves en trop. Sur des montants pareils, ce sont des bras de levier formidables.» Il faut donc amener les caisses-maladies à adapter les primes aux coûts et cela, seule l’autorité de surveillance peut le faire – ou pourrait, si elle en avait les moyens légaux!

Un office de surveillance désarmé

Car la Suisse a découvert, avec un certain effarement, que l’Office fédéral de la santé publique pouvait certes refuser une hausse des primes excessive, mais qu’il ne pouvait pas imposer une baisse des primes, car il n’a pas de base légale pour le faire (voir l’encadré: «Le cas Assura»). Dès lors, la solution apparaît claire: il faut donner à l’OFSP les moyens de contrôler réellement les primes. Le Conseil fédéral a fait un pas dans ce sens, avec un projet de loi sur la surveillance de l’assurance-maladie sociale. Il prévoit d’une part que les réserves doivent être constituées en fonction des risques encourus par l’assureur, et d’autre part que les primes dépassant considérablement les coûts devront être remboursées.

Pierre-Yves Maillard préconise une adjonction à ce projet de loi, en faveur des cantons qui ont trop payé: «Il est encore trop tôt pour donner une solution concrète, nous y travaillons afin d’être prêts si possible avec une solution mieux soutenue à l’automne. Elle tourne autour d’un léger et momentané renforcement des compétences de l’OFSP dans la loi sur la surveillance.»

Pour le magistrat vaudois, «jusqu’ici, l’autorité fédérale a failli, sous prétexte de manque de base légale; c’est désormais à elle de corriger ses erreurs de gestion et, disposant d’une base légale, de résoudre le problème qu’elle a elle-même créé.» Mais rien n’est joué: la proposition du Conseil fédéral de donner les moyens à l’OFSP d’exercer à l’avenir une réelle surveillance, et non une pseudo-surveillance comme aujourd’hui, sera considérée comme une attaque frontale des caisses-maladie par le puissant lobby qui les représente aux Chambres fédérales. «On pourrait donc, à la fin, ne rien avoir du tout!» lâche Pierre-Yves Maillard.

Des réserves cantonales ou nationales?

Reste la question de savoir s’il ne faudrait pas cantonaliser les réserves des caisses, ou tout au moins les régionaliser pour les plus petits cantons. On sait que les caisses-maladie y sont farouchement opposées, car elles souhaitent pouvoir utiliser les réserves d’un canton ou d’un groupe de cantons, pour couvrir les déficits d’autres cantons où la communauté d’assurés est trop petite pour couvrir les coûts.

Pourtant, ce ne serait jamais que respecter une des obligations de la LaMal, qui veut que les primes correspondent aux coûts générés dans une zone de primes donnée. «Si cela n’est plus garanti, explique Pierre-Yves Maillard, c’est tout le système qui ne fonctionne plus, et les gens ne toléreront plus de payer des primes 20% plus élevées dans le canton de Vaud que dans d’autres, puisqu’il n’y aurait plus d’explication plausible. Les assureurs répètent que les réserves ne sont pas cantonales, mais nationales; si c’est le cas, il faut que les primes, elles aussi, soient nationales. Les réserves ne sont rien d’autres que la somme de la différence entre primes et coûts.»

Les mois qui viennent diront si des réformes significatives seront introduites, ou si le mauvais statu quo actuel va se perpétuer. Ce qui est sûr, c’est que le surfinancement de l’assurance-maladie à Genève et dans le canton de Vaud a cessé. C’est au moins ça...

Comment marchent les réserves

D.R.

Le cas Assura

Assura a un modèle d’affaires particulier. Pour ses 150 000 assurés vaudois, la caisse a des coûts par assuré qui sont à 50% des coûts moyens vaudois, grâce à une sélection des risques très performante. Normalement, un tel modèle ne peut pas survivre plus de cinq ans: avec des coûts par assuré inférieurs de 50% par rapport aux autres, les primes sont beaucoup trop basses, et qui dit primes très basses dit afflux d’assurés. Or, un afflux massif d’assurés pose un problème avec les réserves : comme les assures voyagent sans les réserves, il faut partager le socle de réserves pour 100 000 assurés par 150 000, ce qui fait baisser de 50% le taux de réserves. Donc, normalement, un assureur bon marché a très vite des problèmes. Pas Assura: les coûts sont de 50% inférieurs aux coûts moyens cantonaux. Les primes sont également inférieures à la moyenne, mais pas dans les mêmes proportions. C’est en partie normal puisque cet assureur doit payer un lourd tribut à la compensation des risques. Pour autant, la société se crée ainsi une marge significative par assuré sur chaque exercice annuel, ce qui fait que chaque nouvel assuré finance ses réserves en peu de temps. C’est ainsi que le système tient la route. Il attire de nouveaux assurés, contents de payer 30% de moins que la moyenne, mais dont les coûts moyens sont de 50% en dessous de la moyenne.

A la demande de Pascal Couchepin, qui ne voulait plus de hausses de primes dans les cantons romands, l’OFSP a analysé et identifié le système, et constaté qu’Assura, même avec des primes de 30% inférieures par rapport à la moyenne, avait des primes encore trop élevées, ce qui contribue à ce que les Vaudois accumulent des excédents de primes. Dès lors, l’OFSP a voulu imposer à Assura de baisser ses primes au niveau de ses coûts. Ce qui aurait impliqué une baisse très forte des primes, qui les aurait mis en danger: alors que les autres montaient ou restaient stables, ils auraient encore baissé leurs primes et seraient devenus encore plus attractifs, le tout cassant leur système d’alimentation continu des réserves.

Assura a donc fait recours au Tribunal fédéral, qui lui a donné raison, puisque l’OFSP n’a pas de base légale pour imposer une baisse de primes: l’OFSP peut seulement refuser une hausse, mais pas imposer une baisse.

Sollicitée par la rédaction, Assura n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet des réserves.

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