Prix des médicaments: la pilule ne passe pas

Dernière mise à jour 28/07/16 | Article
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En Suisse, les médicaments sont plus chers en comparaison européenne et ce, même en prenant en compte le pouvoir d’achat supérieur des Helvètes. Au cœur du problème, la manière dont les tarifs sont fixés et réévalués ainsi que la pression continue qu’exerce l’industrie pharmaceutique sur les politiques.

Les Suisses paient trop cher leurs médicaments. Qui n’a pas sursauté en achetant à l’étranger un emballage d’ibuprofène pour un ou deux euros quand il coûte une dizaine de francs ici? Les propres chiffres de l’industrie pharmaceutique le confirment: en moyenne, les médicaments protégés par un brevet sont 10% plus chers en Suisse qu’un prix moyen, calculé à partir de neuf pays européens. Et cette différence se multiplie pour les médicaments génériques (voir encadré). A qui la faute? Au pharmacien de votre quartier, à l’industrie… ou aux autorités ? Après deux ans quasiment sans baisse des prix, on attend un déblocage du dossier à Berne pour cet été. D’ici là, bienvenue dans la partie de billard à trois bandes de la fixation du prix des médicaments.

Quels médicaments? Pour bien comprendre, une clarification s’impose: tous les médicaments ne voient pas leur prix fixé de la même manière. «Les prix des médicaments en vente libre non remboursés par les caisses maladie ne sont pas soumis à une réglementation de l’Etat», explique Jean-Philippe de Toledo, directeur du groupe Pharmacie Principale. C’est le cas de l’ibuprofène cité plus haut. Quand on l’achète soi-même, sans ordonnance, le marché –industrie pharmaceutique, grossistes, pharmaciens et peut-être consommateurs– décide, point final. De l’autre côté, il y a les médicaments prescrits par les médecins et remboursés par l’assurance-maladie. Leur prix est, lui, contrôlé par l’Etat. On estime qu’ils représentent, en Suisse, 10% des coûts de la santé.

Une baisse entravée

Pour être remboursé par l’assurance-maladie, un médicament doit figurer sur la liste des spécialités de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). C’est là que tout se joue pour trois mille substances différentes. La liste précise aussi le prix auquel le laboratoire peut le vendre aux grossistes et le prix auquel le pharmacien doit le vendre au patient. Ce montant n’est pas gravé dans le marbre. On l’établit quand un médicament intègre la liste. Chaque année ensuite, l’OFSP revoit les prix du tiers de la liste. De 2012 à 2014, cette réévaluation annuelle a permis d’économiser 200 millions de francs par an. La recette? Fixer le prix du médicament en l’alignant sur une moyenne de six pays européens: l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas1.

Mais l’industrie pharmaceutique ne l’a pas entendu de cette oreille et a saisi le tribunal administratif fédéral. Un jugement a été rendu, contre lequel l’OFSP a fait recours. Le 14 décembre dernier, le tribunal fédéral a clos l’argument et renvoyé l’administration fédérale à sa copie. «Les tribunaux ont rappelé que la loi prévoyait en fait deux principes: la comparaison avec les autres pays, mais aussi une comparaison thérapeutique avec une substance similaire ou qui a les mêmes effets», explique Andreas Schiesser de Santésuisse, l’une des deux grandes associations d’assureurs maladie. Premier résultat de cet affrontement judiciaire: il n’y a pas eu de baisse du prix des médicaments sur la liste des spécialités en 2015 ni en 2016. Second effet: le système de fixation des prix a été adapté en 2015 pour inclure la comparaison thérapeutique mais les autorités jugent qu’il faut remettre l’ouvrage sur le métier. Elles révisent donc l’ordonnance pour la mettre en consultation avant ou après l’été. Dans quel sens le vent tournera-t-il? Fin connaisseur du sujet, Andreas Schiesser ne s’attend pas à une révolution. Le Conseiller fédéral Alain Berset, pour sa part, refusait tout commentaire à l’heure où nous écrivions ces lignes. Le statu quo ne satisfait en tout cas personne, même pas l’industrie pharmaceutique. Sara Käch, porte-parole d’Interpharma, déclare ainsi que son organisation «soutient un éclaircissement rapide et constructif de cette question car il est dans l’intérêt de toutes les parties concernées d’obtenir la sécurité juridique au sujet du système de fixation et de contrôle des prix».

Génériques: économiques mais toujours trop chers

L’idée est simple et séduisante. Après dix à quinze ans, les médicaments ne sont plus protégés par un brevet et peuvent donc être fabriqués par tous les laboratoires pharmaceutiques. C’est ce que l’on appelle des médicaments génériques. Ainsi mis en concurrence, mais proposant le même produit, les industriels devraient se démarquer surtout sur le prix qu’ils proposent au client. En Suisse, on ne constate cependant pas de baisse drastique des prix. En moyenne, selon Monsieur prix, les médicaments génériques sont deux fois plus chers ici qu’à l’étranger.

La manière dont l’Etat fixe leurs prix explique en partie ce phénomène. Les génériques doivent en effet respecter un écart de prix avec le médicament original et être de 10 à 60% moins chers selon le volume de vente. Or, les observateurs constatent que les réductions ne vont pas beaucoup plus loin que ces paliers. De prix maximum, ils se transforment en prix indicatifs. La FRC et Santésuisse défendent donc la fixation d’un prix de référence pour les génériques. L’Office fédéral de la santé publique déterminerait une somme fixe par médicament que les assurances rembourseraient. Afin de conserver leur marché, les laboratoires aligneraient leurs prix sur ce montant remboursé. Un tel projet est d’ailleurs en préparation, explique Jörg Indermitte, codirecteur de la section Médicaments de l’OFSP. «Le Conseil fédéral a annoncé que nous allions introduire un tel système mais cela nécessite une modification de la loi.» Pas de baisse prévue sur ce point avant 2019, donc. Du côté de l’industrie pharmaceutique, Interpharma n’exclut pas des aménagements mais se dit «fermement opposée à un système qui s’oriente vers le plus bas.»

Aller plus loin

Une fois le projet d’ordonnance connu, discuté et adopté, l’année 2017 verra –enfin– reprendre la baisse du prix des médicaments déjà inclus sur la liste. Mais de nombreuses voix demandent bien davantage, comme l’assureur CSS dont la porte-parole Nina Mayer ne ménage pas ses mots: «Aujourd’hui, la fixation des prix des médicaments, respectivement leur réévaluation, conduit à des prix exagérés.» Du côté de la Fédération romande des consommateurs (FRC), Joy Demeulemeester, responsable de la politique de la santé, dénonce une «manière très archaïque de prendre en compte l’économicité» dans la manière de fixer les prix des médicaments, de même qu’un manque de transparence dans ces processus. D’ailleurs, sur ce dossier, la FRC «travaille en partenariat avec le surveillant des prix et a des échanges réguliers avec Santésuisse et Curafutura (l’autre grande association d’assureurs maladie, ndlr).» Mais comment faire mieux? La FRC et Santésuisse défendent une extension du droit de recours contre les décisions de fixation des prix de l’OFSP. Actuellement, seul le laboratoire pharmaceutique concerné peut recourir. La proposition horrifie Interpharma car elle menacerait la santé «des patients qui dépendent d’un accès rapide au progrès thérapeutique». Autre revendication commune, obliger les médecins à prescrire, dans la très grande majorité des cas, non pas un produit en particulier mais sa substance active. Cela systématiserait le recours aux génériques et éviterait les dérives du «comarketing» (des médicaments en tous points identiques présentés par le même fabricant sous deux emballages différents à des prix… différents). Là encore, Interpharma crie à la mise en danger du patient. Il suivrait moins facilement son traitement et serait dérouté par de multiples changements de préparation pour le même médicament.

Dissonance législative

Et pourquoi réévaluer seulement un tiers de la liste par an, demandent Santésuisse et la CSS qui revendiquent une révision annuelle intégrale de la liste des spécialités. «Je peine à croire que le processus soit si compliqué, suggère Andreas Schiesser. Il existe une base de données européenne des prix des médicaments qui rassemble tous les prix. Quant aux informations techniques, ce sont les firmes qui les fournissent, l’OFSP ne doit que les vérifier. Des pays comme le Danemark adaptent leurs prix toutes les deux semaines.» On ne manque donc pas d’idées pour obtenir des médicaments remboursés moins coûteux. Mais séduiront-elles les autorités en dépit des hauts cris de l’industrie pharmaceutique? Avant de raccrocher, le spécialiste rappelle que la loi sur l’assurance-maladie prévoyait que «les soins soient appropriés et leur qualité de haut niveau, tout en étant le plus avantageux possible». Selon lui, on ne devrait donc rembourser que le moins cher de deux produits si leur effet est équivalent. Cet élément, voté par le parlement, n’a jamais été transformé en réglementation par l’exécutif. Berne n’est pas si loin de Bâle. Il n’y a pas que les assureurs qui savent y donner de la voix.

Si le pharmacien se fournissait à l’étranger

De manière générale, les écarts de prix entre pays sont très faibles quand il s’agit d’un nouveau médicament. Ils peuvent par contre être énormes sur des remèdes qui ne sont plus protégés par un brevet, ne serait-ce qu’à cause des différences de change. Au point que des pays comme l’Allemagne rendent obligatoire la réimportation: l’achat par les pharmaciens de médicaments dans d’autres pays de l’union européenne pour les revendre sur le sol allemand. «Pour faire baisser les prix, les pharmaciens doivent réaliser au moins 10% de leur chiffre d’affaires au moyen de ces réimportations, y compris des médicaments allemands réimportés de pays comme la Grèce ou le Portugal, explique Jean-Philippe de Toledo, directeur du groupe Pharmacie Principale. Ils doivent vendre ces médicaments au minimum 20% moins cher que le prix allemand. Et ils gagnent de l’argent malgré le fait qu’il faut adapter l’emballage à  la langue du pays.» En suisse, des importations parallèles sont possibles en théorie. Cette solution a même été exploitée par le passé pour l’Aspirine cardio, se souvient Jörg Indermitte, codirecteur de la section Médicaments de l’Office fédéral de la santé publique. Mais les exigences sont multiples. Le produit doit ainsi être enregistré auprès de Swissmedic et les dossiers d’enregistrement adaptés à la présentation suisse. Par ailleurs, explique le fonctionnaire, «si un médicament original existe en différents dosages et en différentes présentations, les médicaments importés –de même d’ailleurs que les génériques– doivent, hormis de rares exceptions, exister dans les mêmes dosages.» Enfin, «si vous passez tous ces filtres, poursuit Jean-Philippe de Toledo, on vous facture 150 000 francs par produit. Et s’il manque une virgule au dossier, vous devez mener des essais cliniques supplémentaires… la facture peut passer à 400 000 francs. Donc c’est autorisé, mais la lourdeur et le  coût de la procédure entravent sa rentabilité. En définitive, personne  ne le fait.»

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1. En 2015, trois pays se sont ajoutés à ce panier européen: la Belgique, la Finlande et la Suède.

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