Décryptage de la polémique sur les anti-vomitifs

Dernière mise à jour 16/06/15 | Article
Décryptage de la polémique sur les anti-vomitifs
Les médicaments soignant nausées et vomissements font l’objet d’un suivi strict depuis dix ans à cause d’effets secondaires rares sur le cœur. Leur retrait du marché fait débat.

La dompéridone, vendue en pharmacie sous le nom de Motilium et de ses formes génériques, a des effets secondaires bien connus sur le fonctionnement du cœur qui peuvent s’avérer dangereux dans de très rares cas. Des publications récentes de la revue médicale indépendante Prescrire ont lancé un débat public sur les risques liés à la cette substance. Les rédacteurs de Prescrire militent depuis 2014 pour sont retrait de la vente, mais selon les experts, la situation est complexe.

Depuis 1979, la dompéridone est utilisée en Suisse pour soulager les reflux gastro-œsophagiens ainsi que les nausées et vomissements dus au ralentissement de la vidange de l’estomac. Elle rend l’estomac moins paresseux en stimulant les nerfs connectés aux muscles de la paroi gastrique et donc ses contractions. Mais la dompéridone peut aussi modifier l’activité électrique du cœur. Le muscle cardiaque est parcouru d’ondes électriques lui permettant de se contracter. L’écart entre ces ondes – visibles sur un électroencéphalogramme (ECG) et appelées P,Q,R,S,Q et T – peut varier. L’intervalle entre Q et T change en fonction de la fréquence cardiaque et de certaines maladies. La dompéridone agit sur ces ondes et provoque ce qu’on appelle un «allongement de l’intervalle QT», pouvant mener à des troubles du rythme, voire à l’arrêt du cœur.

L’effet secondaire sur la conductivité est d’autant plus important que la dose de médicament est élevée. En 1985, la forme injectable de la dompéridone a été retirée du marché mondial, mais pas la forme orale. «La forme injectable provoquait un pic très rapide de concentration du médicament dans le sang», précise Thierry Buclin, médecin-chef de la division de pharmacologie clinique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

Personnes à risque

Pour ce qui est des formes orales, il a fallu plus de temps pour établir qu’il existait un risque – extrêmement faible – d’apparition d’effets secondaires pour le cœur. «La petite modification de la conductivité cardiaque induite par la dompéridone orale peut faire la différence chez certaines personnes qui sont déjà à risque, c’est-à-dire qui ont des troubles électriques du cœur ou des prédispositions génétiques», observe Thierry Buclin. L’interaction avec d’autres médicaments peut aussi augmenter les risques.

C’est pourquoi, en 2013, la prescription de dompéridone a été interdite en Europe pour les patients avec des troubles du cœur, avec ou sans un allongement de l’intervalle QT. Puis, à l’automne 2014, l’Agence européenne des médicaments a décidé de retirer de la vente les doses orales supérieures à 10 mg.

Récemment, l’épidémiologiste Catherine Hill de l’Institut Gustave Roussy à Paris et le rédacteur en chef dePrescrireont publié dans la revue Pharmacoepidemiology and Drug Safety une estimation du nombre de morts prématurées dues à la dompéridone en 2012, qui s’élèverait selon eux à 231 décès. Cependant, il convient de préciser qu’il s’agit ici d’une extrapolation statistique du nombre de morts et non d’un comptage de décès rapportés. L’étude a été remise en cause à plusieurs reprises par des statisticiens et récemment, selon le journal Libération, par deux rapporteurs auprès de l’Agence française du médicament (ANSM), qui critiquent la méthode utilisée.

Bénéfices versus risques

Catherine Hill et ses collègues plaident pour un retrait du marché de la dompéridone. Mais d’autres experts mettent plutôt en garde contre sa surconsommation. L’année dernière, la revue Prescrire a estimé qu’en 2012, trois millions de Français en avaient consommé. «Le Motilium est souvent pris dans des situations d’inconfort plus que d’indications vraiment sévères, confirme Thierry Buclin. Or, prendre un médicament n’est pas anodin et la dompéridone ne devrait être utilisée que pour les symptômes handicapants.»

Les auteurs de l’article de Prescrire ont aussi mis en doute l’efficacité même de cette substance. Selon eux, son effet ne serait pas supérieur à un placebo. Mais la littérature médicale de ces dernières années montre que si son efficacité n’est pas de 100%, la dompéridone permet tout de même une amélioration des symptômes chez une partie des patients. «Nous considérons qu’utilisée dans de bonnes conditions, la dompéridone présente un rapport bénéfices/risques acceptable», a indiqué fin avril dans le Figaro Dominique Martin, directeur de l’ANSM.

En Suisse, une procédure est en cours à Swissmedic, l’Institut des produits thérapeutiques. «Les médicaments à base de dompéridone font l’objet d’une surveillance renforcée par les autorités sanitaires en raison de leurs effets indésirables cardiaques, annonce son porte-parole. Dès que le processus sera terminé, les restrictions additionnelles en Suisse seront communiquées». Swissmedic recommande de consulter un spécialiste et d’utiliser la dose optimale sans dépasser la durée de traitement prescrite, notamment dans les situations à risque. «Il y a un problème de santé publique, concède Thierre Buclin. Mais la dompéridone est un cas limite; on est sur le fil du rasoir entre alarmisme et bon sens.»

Des alternatives au Motilium?

Les autres anti-vomitifs sur le marché, comme le métoclopramide (Primpéran) ou la métopimazine (Vogalen), ne sont pas non plus sans risque. Le Primpéran, en plus de modifier la conductivité cardiaque, est aussi un neuroleptique. Il peut pénétrer dans le cerveau pour agir sur le centre de contrôle des vomissements. Des troubles neurologiques secondaires comme des tremblements ou des mouvements ralentis peuvent subvenir. C’est pourquoi, dans le cas des nausées moins graves, les experts recommandent des solutions non médicamenteuses. Par exemple, modifier les habitudes alimentaires et le rythme des repas peut soulager l’inconfort, tout comme boire quelques gorgées d'une boisson chaude (thé, bouillon), selon Thierry Buclin.

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