Guérir du cancer: à tout âge?

Dernière mise à jour 03/11/11 | Article
On peut guérir du cancer à tout âge
Peut-on guérir du cancer à tout âge ? Le Dr Matti Aapro répond par l’affirmative. Ce qui compte est moins l’âge en lui-même que l’état général du patient, la présence éventuelle d’autres maladies, sa situation psychologique et sociale. L’oncologie gériatrique doit arrêter ses choix thérapeutiques en fonction de ces très nombreux paramètres: elle reste aussi un art.

L’important c’est le patient

On peut guérir du cancer à tout âge ! C’est par cette affirmation que le Dr Aapro a ouvert sa conférence (Conférence du cinquantième de la Ligue vaudoise contre le cancer à Yverdon-les-Bains le 16 septembre 2010), remplaçant d’entrée le point d’interrogation du titre par un point d’exclamation porteur d’espoir. Toutefois, a-t-il aussitôt ajouté, la perspective ici ne doit pas se limiter à la seule question de la recherche scientifique et de l’efficacité thérapeutique. Une personne âgée affronte souvent, en même temps que le cancer, d’autres problèmes médicaux ou sociaux; la situation particulière du patient est donc aussi importante que les spécificités de sa maladie.

 Qu’est-ce qu’une « personne âgée »

Au fait, qu’est-ce qu’une «personne âgée» ? Dans nos sociétés, c’est l’âge de la retraite qui marque la frontière puisque, à ce moment-là, on sort généralement du monde du travail; mais on voit aujourd’hui que même cette frontière officielle fait l’objet d’âpres négociations politiques… Autre facteur de changement: l’augmentation de l’âge moyen de la population mondiale. La proportion de personnes âgées en Chine ou en Inde a beau être moins grande qu’en Europe, leur nombre est d’ores et déjà supérieur !

Matti Aapro le dit clairement: aucun chiffre absolu n’est ici pertinent. Ce qui compte est l’espérance de vie, étroitement liée à l’état de santé général. Face à un patient âgé atteint d’un cancer, l’oncologue affrontera ainsi des situations très différentes: une personne de 65 ans qui a une espérance de vie réduite à cause des autres affections dont elle souffre, ou une personne de 80 ans en parfaite santé dont l’espérance de vie est encore d’au moins dix ans !

 L’«évaluation gériatrique globale »

Comment faire la part des choses ? Sur quelle base décider du traitement le mieux adapté face à des situations aussi différentes ? L’oncologue dispose d’un outil appelé «Evaluation gériatrique globale», qui permet d’identifier l’ensemble des problèmes médicaux et sociaux dont le patient peut éventuellement souffrir, en quelque sorte son «score gériatrique». Ce n’est pas un instrument permettant de décider directement du bien-fondé ou du dosage des traitements oncologiques; son but est d’obtenir une évaluation objective du pronostic, hors cancer, de la personne âgée, d’en évaluer les réserves tant sociales que médicales et d’adapter la décision thérapeutique en fonction de ces données.

Matti Aapro insiste: la personne âgée varie bien plus que l’enfant ou l’adulte plus jeune. Ne pas en tenir compte peut conduire à toute une série d’erreurs d’appréciation, aussi bien de la part du médecin que du patient ou de sa famille.

Deux erreurs fréquentes

Première erreur: on a tendance à penser que le cancer des personnes âgées évolue lentement, qu’il n’est pas très agressif, donc à la limite du bénin. C’est parfois vrai, mais certaines tumeurs connaissent une évolution rapide et fatale comme chez l’adulte plus jeune. Un diagnostic exact est donc aussi essentiel pour la personne âgée que pour les autres patients.

Deuxième erreur: renoncer à une opération à cause de l’âge du patient. Pourquoi est-on souvent tenté de le faire à propos d’une tumeur alors qu’aucun chirurgien n’hésite à opérer une hanche chez quelqu’un de très âgé ? Le risque opératoire est pourtant le même, et le conférencier souligne les progrès extraordinaires de l’anesthésie qui l’ont considérablement réduit. Ainsi, la chirurgie, lorsqu’elle est applicable, doit être appliquée: elle reste la clé de voûte du traitement; aucune mauvaise raison liée au coût ou à l’âge ne doit priver le patient d’une chance de guérison.

 Difficultés du choix thérapeutique : l’exemple du cancer du sein

Est-ce à dire que l’on peut appliquer sans arrière-pensée les traitements standards des adultes aux personnes âgées ? Evidemment non. Matti Aapro donne l’exemple de la radiothérapie de complément après l’ablation d’une tumeur du sein. Les études ont montré que ce traitement (qui n’est pas léger, car il impose de se rendre chaque jour dans un centre spécialisé) réduisait considérablement le risque de rechute chez les femmes de moins de 60 ans, mais moins chez les femmes plus âgées. Dans ce dernier cas, la décision thérapeutique doit donc émaner surtout de la patiente elle-même, qui choisira entre un traitement contraignant et un risque de rechute supérieur. La radiothérapie reste un standard, mais son application et son étendue peuvent varier considérablement en fonction de la biologie particulière de la tumeur.

La même question se pose à propos des deux autres traitements complémentaires habituels du cancer du sein: l’hormonothérapie et la chimiothérapie. L’erreur, ici, consiste souvent à considérer la première comme bénigne et à diaboliser la seconde. Or, l’hormonothérapie, comme tout traitement médicamenteux, peut entraîner des effets secondaires; s’ils sont certes plutôt légers, ils peuvent persister tout au long du traitement, qui dure couramment cinq ou dix ans… A l’inverse, la chimiothérapie a des effets secondaires parfois violents, mais brefs. Elle est parfaitement applicable aux personnes âgées, sous réserve de tenir compte de leur capacité moindre d’absorption et d’élimination (fatigue des reins et du foie, réserves de la moëlle), ainsi que des interactions négatives avec d’autres médicaments pris simultanément pour d’autres affections.

On voit donc (et le conférencier le répétera à plusieurs reprises durant son intervention) que dans le cas du cancer de la personne âgée, la question cruciale est l’adaptation du traitement non seulement à la maladie, mais aussi et surtout au patient.

 L’importance des études cliniques

Comme d’autres spécialités médicales, l’oncologie gériatrique compte beaucoup sur les études cliniques pour fonder ses choix thérapeutiques. Matti Aapro ne le cache pas: ces études ont démarré tard et sont encore trop peu nombreuses dans le cas des patients âgés. Il y a vingt ans, lorsqu’elles étaient pratiquement inexistantes, les spécialistes s’en remettaient aux discussions entre collègues et à l’instinct.

La dimension humaine

Enfin, la dimension psychologique et humaine demeure essentielle. L’orateur donne l’exemple des personnes âgées qui, apparemment, ne désirent pas entreprendre un traitement perçu comme pénible (on parle ici des thérapeutiques qui offrent une chance réelle de guérison ou de prolongation de l’espérance de vie, et non de soins palliatifs). La famille, parfois, abonde dans leur sens avec l’argument souvent entendu: «Laissez-le finir sa vie en paix…». Matti Aapro pointe le danger: ignorer la présence d’une dépression, dépression qui peut être elle aussi traitée si elle est correctement diagnostiquée. Du coup, la perspective changera pour le patient, le traitement sera perçu comme une chance de vie supplémentaire et non un fardeau de plus.

Et l’orateur de conclure: l’oncologie gériatrique doit faire des choix en fonction d’un nombre très étendu de paramètres – la spécificité biologique de la tumeur, les combinaisons thérapeutiques possibles, l’état général du patient (y compris sa situation psychosociale). Elle reste donc aussi un art.

Dr Matti Aapro
Doyen de l’Institut multidisciplinaire d’oncologie de la Clinique de Genolier et directeur exécutif de la Société internationale d’oncologie gériatrique, le Dr Aapro est spécialiste du cancer des personnes âgées et du cancer du sein. Il a fondé le Département d’oncologie médicale et de radiothérapie de l’Institut européen d’oncologie (Milan). Rédacteur en chef de «Critical Reviews in Oncology/Hematology» et éditeur associé de la section gériatrique de la revue «The Oncologist», il est l’auteur de plus de 250 publications scientifiques.

Pour en savoir plus...

Cet article est extrait d'Entre Nous, no 26 paru en novembre 2010, publication de la Ligue vaudoise contre le cancer. La vidéo de la conférence, accompagnée d’un enregistrement audio du débat avec le public, est disponible sur le site de la Ligue: www.lvc.ch

Article original: http://assets.krebsliga.ch/downloads/lvc_en_nov_2010_def.pdf

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