Cachez ce sein…

Dernière mise à jour 20/11/12 | Article
Cachez ce sein…
Banale pour certains, gênante pour d’autres, l’image du nourrisson accroché au sein de sa mère laisse rarement indifférent. Mais quand l’enfant n’est plus un bébé, cette image suscite soudain méfiance et critiques. L’allaitement des jeunes enfants, bien que marginal, ne passe jamais inaperçu. Retour sur une pratique mal comprise.

En mai dernier, le magazine Time a créé la sensation avec sa Une montrant un enfant de trois ans, pendu au sein de sa mère. Cette image provocatrice et caricaturale choque, mais nous renseigne au fond peu sur l’allaitement des bambins. A partir de quel âge, en effet, considère-t-on que l’allaitement est, si ce n’est «tardif», en tous les cas, prolongé? Une question à laquelle il s’avère, en réalité, bien difficile de répondre en raison de la multiplicité des références, à la fois culturelles, individuelles et statistiques.

En Suisse, selon une étude nationale menée par l’Institut social et préventif de l’Université de Bâle (2003), 94% des nouveau-nés sont allaités à la naissance, tandis qu’à 31 semaines, la moitié d’entre eux ne l’est plus. Entre 6 et 9 mois, 37% des enfants reçoivent une alimentation mixte, composée de lait maternel et de bouillie. Sur la base de ces chiffres et en regard de son expérience au sein de la Leche League, association de soutien à l’allaitement, Barbara Scherwey, maman et animatrice du groupe lausannois, estime qu’un allaitement qui dure un an est déjà long. Un avis que partage Verena Marchand, directrice de l’enseignement des consultantes en lactation IBCLC pour la Suisse et membre de la Fondation suisse pour la Promotion de l’Allaitement: «Dans notre culture, en regard des contraintes professionnelles et sociales que rencontrent les femmes, cela représente une longue période. Mais à titre individuel, une mère qui a vécu un allaitement difficile durant un ou trois mois a déjà fait preuve de longévité!»

Le lait maternel, surtout bénéfique la première année

Si allaiter au-delà de la première année n’est pas fréquent dans notre société, ce n’est pas le cas dans les régions du monde où la nourriture est rare ou peu équilibrée. L’OMS recommande d’ailleurs l’allaitement exclusif les six premiers mois de vie. Puis, l’introduction d’autres aliments en complément de l’allaitement jusqu’à deux ans, voire au-delà. Dès six mois en effet, débute la diversification alimentaire, mais le lait reste un aliment de base jusqu’à trois ans.

On connaît les vertus multiples du lait maternel (prévention du diabète, de l’obésité, des allergies, etc.), mais qu’en est-il sur la durée? Pour Verena Marchand, «Un allaitement même court est très profitable à l’enfant. Plus il dure, plus les bénéfices sont importants pour sa santé». Un avis que nuance le Dr Andreas Nydegger, médecin associé à l’Unité de Gastroentérologie Pédiatrique du Centre hospitalier universitaire vaudois: «L'allaitement est surtout important dans les six premiers mois de vie car le lait maternel est composé de facteurs que l'on ne trouve pas dans les laits infantiles (facteurs immunologiques, anti-infectieux, de croissance, etc.). A partir du 7e mois, le lait maternel ainsi que les laits infantiles ne couvrent plus les besoins et la diversification doit commencer. L'allaitement peut être continué jusqu'à la fin de la première année avec une diversification, mais n'apporte pas de bénéfices dans la deuxième année de vie.»

Pour Barbara Scherwey, le lait maternel conserve pourtant toutes ses propriétés: «Sa composition évolue au gré des besoins de l’enfant, mais sa qualité reste stable, du moment que le processus de lactation a démarré.» «Ce n’est qu’au moment du sevrage qu’il prend un goût salé, comme pour accompagner l’enfant dans son détachement du sein maternel», poursuit Verena Marchand.

L’allaitement lui-même, en revanche, est un phénomène très évolutif. On n’allaite pas un bambin de la même manière qu’un bébé. «Généralement, on observe un espacement des tétées jusqu’au sevrage. Celles du matin et du soir, voire de l’après-midi avant la sieste, sont souvent privilégiées. Au-delà de la première année, le sein est surtout une source de réconfort et un point d’attache pour l’enfant.»

Une décision d’un commun accord

Comment se fait le choix de continuer à donner le sein à son enfant passé les premiers mois? D’après notre enquête, allaiter longtemps serait rarement le fruit d’une décision raisonnée: «Très souvent, les femmes continuent parce qu’elles ne voient aucune raison d’arrêter. Elles poursuivent tant qu’elles éprouvent du plaisir dans ces moments d’intimité avec leur enfant. Parfois, c’est la gêne de devoir allaiter un bambin en public qui contribue à la réduction des tétées», explique Barbara Scherwey.

Mais qui sont au juste ces mamans? Sont-elles de ces mères toute puissantes, désireuses à tout prix de garder leur bébé en otage sous leur sein? Barbara Scherwey est catégorique: «De même qu’on ne peut forcer un enfant à marcher, on ne fait pas téter un enfant qui ne le veut pas». L’allaitement de longue durée ne serait donc nullement une relation d’emprise sur l’enfant. Au contraire, au dire de spécialistes interrogées, ce serait même un processus très collaboratif. Cela favoriserait même l’autonomie des tout petits. Plus l’enfant grandit, plus il se détache de la mère pour explorer ce qui l’entoure. Il revient à son gré vers elle, sans jamais perdre de vue le havre de paix que symbolise le sein maternel. «Mais, admet Verena Marchand, des dysfonctionnements peuvent toutefois exister au sein de la dyade mère-enfant».

Pour ce qui est du sevrage, plus l’âge de l’enfant est avancé, plus il fait l’objet de négociations à l’intérieur du couple. Cette décision peut se faire sous l’impulsion de la mère, à l’occasion d’une nouvelle grossesse par exemple, mais aussi sous celle de l’enfant, tenté par de nouvelles expériences.

Regards réprobateurs

Valorisé lorsqu’il s’agit d’un nourrisson, l’allaitement est mal accepté dès que l’enfant sait marcher. Pour éviter les regards accusateurs ou moqueurs, beaucoup préfèrent se cacher pour donner le sein. Une pression sociale qui n’est pas facile à vivre. Ces mères ont le sentiment d’être exotiques. Elles se réfugient souvent dans des groupes de soutien à l’allaitement ou sur internet, pour échanger leur expérience avec d’autres. «Car, aussi bien dans le milieu médical que familial, dès qu’il y a un souci avec l’enfant, qu’il s’agisse de pleurs, de problèmes d’alimentation ou de sommeil, l’allaitement est incriminé. Les mères préfèrent alors taire qu’elles allaitent encore», regrette l’animatrice lausannoise. «Étrangement, remarque Verena Marchand, les gens sont moins choqués à la vue d’un jeune enfant qui a un biberon dans sa bouche, dans le pousse-pousse ou le caddie d’un supermarché. Une réalité qui s’explique selon elle par les connotations qui collent à la poitrine de la femme. La fonction nutritive du sein s’est effacée au profit de sa fonction érotique, poursuit-elle. Aujourd’hui, on met en avant le physique et la beauté des femmes dans la maternité, après l’accouchement. Un ventre plat et des seins galbés séduisent plus qu’un sein qui coule».

Les plus critiques s’interrogent d’ailleurs sur la sexualité de ces femmes qui continuent à offrir leur corps à leur progéniture, au détriment peut-être de leur compagnon... Selon  Barbara Scherwey: «C’est plus l’arrivée d’un enfant que l’allaitement lui-même qui a un impact sur la sexualité des couples», conclut-elle.

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