Tous les divorcés ne dépriment pas. Pourquoi?
Certain(e)s n’en reviennent jamais. Leurs témoignages ne laissent aucun doute quant au degré de souffrance que peut déclencher un divorce. D’autres surmontent tant bien que mal cette épreuve de plus en plus fréquente dans les sociétés contemporaines. Il en est même qui en sortent revivifiés: ils incarnent la véracité de l’adage de Friedrich Wilhelm Nietzsche (1844-1900) qui veut que ce qui ne tue pas rend plus fort; Nietsche qui est mort au terme d’une décennie de démence.
Le dédale de la mésentente conjugale
Quatre chercheurs américains ont voulu en savoir plus. L’un travaille à l’Université de l’Arizona (David A. Sbarra) et les trois autres dans celle de Virginie (Robert E. Emery, Christopher R. Beam et Bailey L. Ocker). Ils viennent de publier le fruit de leurs recherches dans Clinical Psychological Science.(1) Pour le psychologue David Sbarra il ne fait aucun doute que tous les événements stressants de la vie sont associés à un risque significatif de perturbations émotionnelles et de dépression. Mais il est clair aussi que nous ne sommes pas tous égaux dans ce domaine. Pour ce qui est du divorce et du «passage à l’acte» certaines personnes apparaissent nettement plus à risque que d’autres. Comment y voir plus clair dans le dédale de la mésentente conjugale, de la dépression ou de la névrose?
Propension à la dépression
Les chercheurs américains ont travaillé à partir des données de l’étude Midlife Development in the United States (MIDUS). Ils ont postulé que le fait de rester marié (ou de continuer à vivre en couple) n’est pas un phénomène aléatoire. Ils expliquent aussi chercher à améliorer les recherches antérieures dans ce domaine en ayant recours à un algorithme. Après différentes opérations statistiques et correction des possibles biais, ils expliquent avoir bien observé une augmentation des taux de dépression, mais ils ajoutent aussitôt que ce phénomène concerne avant tout celles et ceux qui, lors d’une première approche, présentaient déjà une propension à la dépression.
Plus précisément, 60% des adultes ayant déjà souffert de dépression connaissent un épisode dépressif après un divorce (si divorce il y a), tandis que cette proportion n’est que de 10% chez les adultes n’ayant pas de tels antécédents. C’est là une différence considérable. Elle confirme l’existence d’une «résilience»(2) importante face à cet événement: au final, le divorce n’entraîne pas d’effet dépressif grave chez les personnes sans antécédents. On peut y résister sans avoir besoin d’un soutien médical spécialisé. En revanche, la séparation ou le divorce peuvent exacerber des risques psychologiques sous-jacents.
L’impact sur les relations enfants-parents
Il reste bien sûr à savoir si l’existence de ces mêmes risques psychologiques chez l’un ou l’autre des membres du couple (voire chez les deux) est de nature à augmenter ou à réduire le risque de divorce. En toute hypothèse, ce travail confirme que les données sur les antécédents de dépression doivent être prises en compte par les professionnels de santé de manière à pouvoir prévenir les épisodes dépressifs en cas de séparation.
Dans ce contexte il n’est pas sans intérêt de rapporter les conclusions d’une étude récemment publiée dans lePersonality and Social Psychology Bulletin.(3) Conduit sous la direction de R. Chris Fraley (Université de l'Illinois, Urbana-Champaign) ce travail tend à démontrer que le divorce a un impact d’autant plus important sur les relations parents-enfants s’il intervient dans les premières années de la vie de l'enfant. En clair, celles et ceux qui, petits, ont vécu un divorce «précoce» de leurs parents auront tendance, à l’âge adulte, à avoir des relations plus fragiles avec eux que ceux qui ont vécu la séparation de leurs parents plus tardivement.
Dans une première étude, les auteurs ont procédé à l’analyse des données de 7735 personnes, dont plus d'un tiers avait vécu le divorce de leurs parents à un âge moyen de 9 ans. Les chercheurs constatent que les personnes issues de couples divorcés entretiennent des relations moins structurées avec leurs parents. Ceci est tout particulièrement vrai pour celles qui ont vécu la séparation très jeunes (entre la naissance et l’âge de 5 ans). Ce serait là une «affaire de confiance», la qualité de la relation au parent reposant sur la disponibilité psychologique de ce dernier. Disponibilité qui n’aurait pas été présente dans les premières années de la vie.
Il apparaîtaussi que le divorce des parents a tendance à laisser présager une plus grande insécurité dans les relations avec le père que dans celles entretenues avec la mère.
Tendance «héréditaire»?
Une seconde étude a été menée par la même équipe auprès de 7500 personnes. Parmi elles, 74% avaient vécu avec leur mère après le divorce ou la séparation, 11% avec leurs pères et les autres avec leurs grands-parents ou des tuteurs. Les résultats montrent également que les relations avec le père sont plus précaires après le divorce, ce qui explique sans doute que les décisions de justice accordent beaucoup plus fréquemment aux mères la garde de l’enfant. Les chercheurs indiquent enfin observer une tendance des enfants de couples divorcés à montrer plus d'anxiété dans les relations amoureuses.
Cette étude ne répond toutefois pas à une question soulevée par la publication duClinical Psychological Science: existe-t-il (et si oui, dans quelles proportions) une forme de transmission, entre générations, de la «tendance au divorce» ?
(1) Un résumé (en anglais) de ce travail peut être consulté ici.
(2) La «résilience» désigne de manière générale la capacité d'un organisme, un groupe ou une structure à s'adapter à un environnement changeant. Ce terme peut être utilisé dans de nombreux contextes.
(3) Un résumé (en anglais) de cette étude peut être consulté ici.
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