Pour vous protéger contre la démence, soyez peu aimables et curieux

Dernière mise à jour 15/09/20 | Article
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Les personnes peu agréables, mais qui ont une grande ouverture d’esprit, ont moins de risques que les autres de souffrir de pertes de mémoire, selon des chercheurs genevois.

La liste des facteurs de risques de la maladie d’Alzheimer n’en finit pas de s’allonger. Outre des prédispositions génétiques, l’âge apparaît comme un facteur prédominant, puisque cette forme de démence touche environ 15% des plus de 80 ans. À cela s’ajoute diverses pathologies, comme l’hypertension ou le diabète, ainsi qu’une mauvaise hygiène de vie et même un faible niveau d’instruction (lire encadré). À cet inventaire, il faut maintenant ajouter certains traits de la personnalité. Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) ont en effet constaté que les personnes qui cherchent à s’adapter aux besoins des autres, comme celles qui sont peu enclines aux nouvelles expériences, sont plus susceptibles que les autres de perdre une partie de leur volume cérébral. Or on sait que cette perte est associée à la démence.

Facteurs prédictifs

Pour rappel, la maladie d’Alzheimer provient de l’accumulation dans certaines zones du cerveau d’une protéine, l’amyloïde, qui provoque peu à peu la mort des cellules nerveuses. Le processus est lent. «Entre la destruction des premiers neurones et l’apparition des premiers symptômes, il s’écoule entre dix et douze ans», constate Panteleimon Giannakopoulos, professeur de psychiatrie à l’UNIGE et médecin-chef du Service des mesures institutionnelles aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). De ce fait, lorsque la maladie est diagnostiquée, elle a déjà provoqué des dégâts irréversibles dans le cerveau et, même si l’on disposait d’un traitement adapté, il serait trop tard pour agir.

C’est pour cette raison que ces dernières années, «surtout après les échecs des essais de vaccination contre l’amyloïde, la recherche s’est orientée vers l’identification de facteurs permettant de prédire, chez chaque individu, le risque de déclin cognitif», précise l’expert.

Il s’agit en d’autres termes de trouver des marqueurs biologiques qui pourraient conduire à détecter des signes de la maladie à un stade précoce, mais aussi des facteurs physiologiques, comme des traits de la personnalité.

Les chercheurs genevois suivaient déjà, depuis une dizaine d’années, une cohorte de six cents personnes âgées dont ils étudiaient le vieillissement cérébral. Pendant cinq ans, ils ont soumis quatre-vingt cinq d’entre elles à des investigations plus poussées en observant leur cerveau par imagerie. Parallèlement, ils ont évalué leur état cognitif et leur personnalité à travers une série d’entretiens.

L’atrophie de certaines régions du cerveau est l’une des caractéristiques majeures qui précède la perte de mémoire et la maladie d’Alzheimer. «Elle peut être influencée par différents facteurs, notamment l’éducation, le niveau socio-culturel, l’âge, le sexe», précise Panteleimon Giannakopoulos. L’originalité de cette étude, outre sa durée, est de les avoir pris en compte «afin d’avoir pu faire ressortir l’effet “pur” de la personnalité».

La cognition des centenaires

La Suisse compte environ 1500 centenaires. Quel est l’état de leur fonctionnement cognitif? Des premiers éléments de réponse viennent d’être apportés par une étude menée en Suisse romande par le Service de gériatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). François Herrmann, l’un des médecins de ce service, participe en effet à une recherche internationale portant sur 1200 centenaires danois, suédois, français, japonais et suisses romands, dont l’un des volets se penche sur la cognition. «En Suisse, 149 centenaires sur les 170 que nous avons étudiés sont arrivés à réaliser des tests de cognition. Parmi eux, 37% sont intacts sur le plan cognitif».

Pour affiner son analyse, l’équipe de gériatres a utilisé un sous-test qui ne comporte que six questions. «On demande à la personne de nous dire en quels année, mois et jour nous nous trouvons. Nous lui donnons aussi trois mots et, après lui avoir fait faire des tâches pour la distraire, nous voyons si elle les a retenus». En Suisse, 152 centenaires ont pu faire le test et 43% d’entre eux y ont apporté des réponses justes. « Mais, tempère François Herrmann, les sujets que nous avons étudiés ne sont pas forcément représentatifs de tous les centenaires du pays».

Un projet financé par le Fond National, associant les universités de Lausanne et de Genève, ainsi que la SUPSI (Ecole universitaire professionnelle du Tessin), va poursuivre ces investigations au niveau national.

Agréabilité

Il se dégage de ces travaux que l’un des traits qui protège le mieux contre la maladie d’Alzheimer est la faible « agréabilité ». Pour les psychologues, «l’agréabilité caractérise des personnes qui ont tendance à s’adapter aux besoins des autres et à éviter les conflits, qui sont conformistes et sont finalement assez peu originales dans leur manière d’être», explique le professeur de l’UNIGE. Autant dire que les individus peu bienveillants, qui ne cherchent pas à se couler dans le moule et qui sont anticonformistes ont un plus faible risque de développer cette démence que ceux qui sont aimables.

Un autre facteur protecteur, moins prononcé que le précédent, mais malgré tout significatif, est l’ouverture à l’expérience que manifestent les personnes «curieuses, entreprenantes et qui ont tendance à chercher la nouveauté», complète le spécialiste.

« En outre, ajoute Panteleimon Giannakopoulos, les effets de ces traits de la personnalité ne se manifestent pas dans tout le cerveau, mais spécifiquement dans certaines zones particulièrement vulnérables à la démence, comme l’hippocampe ou le cortex temporal qui forment l’essentiel des circuits de la mémorisation». Dans ces régions, les chercheurs ont en effet observé une perte moins importante du volume cérébral chez les anticonformistes et chez les curieux.

Cerveau «paresseux»

Que les individus curieux et ayant une grande ouverture d’esprit soient mieux préservés que les autres du déclin cognitif n’est pas très surprenant. Ils sont enclins à chercher sans cesse à acquérir de nouveaux savoirs et connaissances, un comportement connu pour être un moyen de garder son cerveau en bon état de marche.

En revanche, comment expliquer que l’agréabilité favorise le déclin cognitif ? «Il est possible, avance le médecin des HUG, que le fait de s’adapter aux besoins de l’autre et d’aller dans le sens du courant ait un coût pour le cerveau qui deviendrait en quelque sorte plus “paresseux“. Alors qu’au contraire, l’anticonformiste activerait plus fortement son cerveau pour jouer son rôle, non seulement de “méchant“, mais aussi de celui qui apporte des idées nouvelles.» Il augmenterait ainsi sa plasticité cérébrale, c’est-à-dire la capacité de son cerveau à remodeler et à renforcer ses connexions neuronales en fonction de l’environnement et de l’expérience vécue, ce qui le protégerait de la démence.

Certes, il est difficile de demander à quelqu’un de changer sa personnalité pour prévenir le développement de la maladie d’Alzheimer. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif de Panteleimon Giannakopoulos, qui précise : «Lorsque l’on disposera d’un traitement contre cette pathologie, il faudra pouvoir le mettre en œuvre le plus précocement possible, donc identifier les personnes les plus à risques. Notre étude montre que dans l’arsenal des facteurs prédictifs, il faudra inclure la personnalité.» Et notamment l’agréabilité.

Les autres facteurs qui préviennent le déclin cognitif

Outre la personnalité, de nombreux facteurs sont connus pour protéger notre cerveau. Si certains ne dépendent pas de notre volonté, nous pouvons agir sur d’autres.

Génétique

Le plus connu des composants génétiques ayant un lien avec le déclin cognitif est l’Apolipoprotéine E (ApoE) qui transporte les graisses dans l’organisme. Elle existe sous trois formes, E2, E3 et E4. Chez les porteurs «de deux allèles (deux versions du même gène, ndlr) E4, le risque de démence est quasiment quadruplé par rapport à ceux qui ont deux allèles E3 », explique le Pr François Herrmann, médecin au service de gériatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

Modes de vies

Certaines démences (comme la maladie d’Alzheimer) sont dégénératives et évoluent progressivement, alors que d’autres ont des causes vasculaires et évoluent par à-coups. Chez les personnes âgées, les deux catégories se conjuguent souvent. C’est dire que «les facteurs qui préviennent contre les maladies cardiovasculaires protègent aussi contre le déclin cognitif», précise le professeur genevois. Les recommandations sont connues. Il faut éviter l’obésité, le diabète et l’hypertension, manger équilibré (en privilégiant le régime méditerranéen), consommer de l’alcool avec modération et bannir le tabac.

Il est aussi fortement conseillé d’avoir des activités physiques. La preuve en est notamment donnée par une synthèse des études faites sur le sujet, certaines ayant suivi des personnes âgées pendant plus de 20 ans. Il en ressort que «les personnes actives réduisent de 35% leur risque de déclin cognitif et de 14% celui d’être atteintes de démence par rapport à celles qui sont sédentaires», comment le Pr Christophe Büla, médecin-chef du Service de gériatrie et de réadaptation gériatrique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Et quand démence il y a, «l’exercice physique retarderait de deux à trois ans l’apparition de ses symptômes».

Niveau d’instruction

Les personnes ayant bénéficié d’un haut niveau d’instruction, qui ont un QI élevé et une activité professionnelle ou intellectuelle stimulante – «trois éléments qui, en fait, sont liés», précise François Herrmann – sont des privilégiés.

L’une des premières preuves en a été apportée par un neurologue américain qui a suivi plus de sept cents religieuses vivant dans les couvents. Il a étudié les dossiers contenant des éléments autobiographiques qu’elles avaient remplis à leur entrée dans les ordres. Puis, pendant près de quinze ans, explique Christophe Büla, «il a fait passer à ces femmes, souvent âgées, des bilans de santé et des tests neurocognitifs. Cela lui a permis de constater que celles qui avaient eu un plus haut niveau d’instruction étaient moins sujettes à la maladie d’Alzheimer que les autres».

Cela vient du fait qu’en sollicitant beaucoup leur cerveau pour apprendre et pour mener des tâches complexes, les personnes éduquées créent un grand nombre de nouvelles connexions entre leurs neurones. Elles disposent ainsi «d’une réserve cognitive qui leur permet de compenser la perte des neurones», souligne François Hermann. Au moins temporairement, ce qui retarde l’apparition de la démence. Mais en revanche, quand les premiers signes du déclin congitif apparaissent, l’évolution de la maladie semble chez elles beaucoup plus rapide. «Sans doute parce qu’elles ont utilisé tous les mécanismes de compensation (noter les tâches que l’on doit faire, faire appel à la plasticité cérébrale) que l’on enseigne à celles qui ne les ont pas déjà mis en pratique», explique le professeur genevois. Mais ce n’est qu’une hypothèse. 

Relations sociales

Celles et ceux qui n’ont pas pu faire de longues études ont toutefois un moyen d’augmenter leurs connexions neuronales en maintenant de nombreuses interactions avec leur famille et leurs amis. Selon le gériatre genevois, les relations sociales semblent, elles aussi, «permettre de compenser les premiers signes de déclin cognitif» et d’en retarder l’apparition.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 26/04/2020.

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