Epidémie d’obésité: savoir et ne rien faire

Dernière mise à jour 24/10/12 | Article
Epidémie d’obésité: savoir et ne rien faire
Voilà que la communauté médicale, après une longue période de négligence, ou de passivité naïve, s’intéresse enfin à l’épidémie d’obésité qui frappe le monde.

A quelques semaines d’intervalle, quatre revues médicales de premier plan se sont penchées sur cette question. Toutes les quatre ont publié des articles courageux, pugnaces, s’intéressant sans faux-fuyants aux origines de l’obésité et à sa globalisation. Ces articles ont beau être scientifiques, ils désignent, chacun à sa manière, une même cause non médicale: Big Food, autrement dit les grandes sociétés qui contrôlent l’ensemble de la filière alimentaire. Ils montrent comment cette gigantesque industrie piège volontairement les individus au moyen de dispositifs psychologiques ultrasophistiqués. Et comment elle réussit, en même temps, à faire croire aux gouvernements et aux citoyens eux­ mêmes que l’obésité relève avant tout de la responsabilité individuelle.

Prenez le New England Journal of Medicine qui, fait rare, consacre une bonne partie de son numéro du 11 octobre 2012 au sujet. Il commence par un papier (de Deborah Cohen et coll.) s’intéressant aux comportements des consommateurs dans les grandes surfaces. Nulle part, explique l’auteur, un humain n’est aussi influençable que dans un supermarché. L’ensemble de l’organisation y est conçu pour faire perdre tout autocontrôle aux clients. «La plupart des décisions d’achat sont prises rapidement et automatiquement, sans réelle influence cognitive, généralement en moins d’une seconde». Or il est beaucoup plus rapide de choisir des aliments industriels, standardisés, placés de façon très visible et vantés par quantité de messages publicitaires, que des produits sains, des fruits et légumes par exemple.

Un papier du Medical Journal of Australia se montre plus précis dans sa manière de dé­montrer que, non, on ne peut plus considérer que l’alimentation relève encore de l’autonomie individuelle. Un supermarché, rappellent Molly Bond et coll., est un haut lieu de manipulation où une science achevée pousse chacun d’entre nous à acheter en trop grande quantité une nourriture dommageable pour sa santé. Mais les Etats continuent de scotomiser cette évidence. «La notion que nous sommes libres de choisir ce que nous mangeons constitue le principal obstacle à des interventions légales pour prévenir l’obésité» ajoutent­-ils. L’industrie a l’habitude d’accuser les promoteurs de la santé de vouloir instaurer «un Etat-nounou». La réalité est plutôt que ce sont les supermarchés qui agissent comme des nounous malveillantes: berçant les consommateurs tout en s’en prenant à leur santé.

Mais revenons au New England Journal of Medicine. Dans le numéro du 11 octobre, il publie pas moins de trois études randomisées et contrôlées montrant que la consommation de boissons sucrées favorise l’obésité, particulièrement, et c’est le plus préoccupant, chez les enfants. Un éditorial (Sonia Caprio) et un article (Jennifer Pomeranz) encouragent les gouvernements à agir. Malgré les prévisibles contre­ attaques légales des grands groupes industriels agroalimentaires, la ville de New York a proposé une diminution obligatoire de la taille des boissons sucrées vendues dans les lieux publics. Pourquoi ne pas les interdire des écoles ou les taxer demande Pomeranz?

Plus direct encore dans son approche, Plos Medicine publie une série d’articles sur Big Food. Comme le sucre, le sel et la graisse sont bon marchés, faciles à industrialiser et, avantage décisif, entraînent des effets addictifs, l’industrie en a fait la base de son commerce. Un commerce qu’elle cherche à augmenter par tous les moyens, tout en niant toute implication dans les problèmes de surconsommation. Des preuves existent, rappelle l’éditorial de Plos, que les entreprises du Big Food imitent la tactique de l’industrie cigarettière: elles ne cessent de charger les individus du poids de leur propre responsabilité. Surtout, elles investissent à leur profit l’ensemble du système politique des démocraties, brouillent les messages de santé publique par une communication agressive, placent leurs experts dans la plupart des commissions nationales et internationales du domaine de la nutrition. Grâce à cette tactique, il a fallu 50 ans, et un terrible coût en termes de santé humaine, avant que le lien entre tabac et cancer entraîne une réponse de santé publique. Faudra-­t-­il le même temps pour répondre aux effets similaires du Big Food, demandent David Stuckler et coll.?

Le British Medical Journal, enfin. Son numéro du 27 septembre publie une étude analysant l’état de santé de 50'000 enfants obèses. Première mauvaise nouvelle (bien que déjà connue): ces enfants ont une augmentation des facteurs de risque cardiovasculaires. Mais il y a pire: ils ont tendance à présenter un ventricule gauche augmenté. Ce qui suggère que certains de leurs organes sont déjà affectés par l’obésité. Comme l’écrit Fiona Goodlee dans son editor’s choice, nous en savons suffisamment pour être obligés d’agir. Mais que faire? Le problème de l’obésité infantile, explique Lee Hudson dans un éditorial, ressemble à celui du réchauffement climatique. Lui aussi n’est devenu apparent qu’après une «longue latence». Et lui aussi donne «l’impression que les solutions sont hors de portée».

Paralysie, donc. Impression que la société reste sans réponse. Car ce qu’on observe, ces jours, ce n’est pas une montée en puissance de l’action préventive, mais au contraire le renforce­ ment du marketing. Regardez la Suisse: notre Parlement vient de refuser l’ensemble du projet de loi fédérale sur la prévention. Entièrement poubellisé. La prévention ne sert à rien, pour nos élus. On ne réunira pas les forces, chaque canton se débrouillera avec ses ridicules moyens. C’est impressionnant? Oui. Le savoir scientifique qui vient d’être exposé ne sert à rien: le sort de nos enfants nous importe moins que la bonne marche du capitalisme. Les industriels alimentaires ont réussi à nous faire croire que le parti de la liberté se trouve dans l’absence de réaction à leur marketing. Que les enfants sont gros parce qu’ils le veulent (ou que leurs parents en sont coupables). Inversion de la réalité propre­ ment perverse.

Au fond, le problème est que nous ne sommes pas libres de manger ce que nous mangeons. Et que nous ne sommes pas non plus libres de changer le système qui nous impose de manger les aliments que nous mangeons. Nous pensons être modernes et façonner notre monde. En réalité, nous sommes plus que jamais déterminés par des forces extérieures. Notre époque orgueilleuse de ses prouesses, pour laquelle rien n’est impossible, semble impuissante lorsqu’il s’agit de sauver ses enfants de l’obésité.

L’idée d’une véritable transformation sociale et surtout économique nous semble désormais «un rêve impossible». Le seul domaine où nous croyons encore que tout est possible, où l’ensemble des forces utopiques se sont regroupées, c’est celui de la liberté technologique. Dans son secteur, explique Slavoj Zizek, nous pouvons tout obtenir, tout pratiquer: modifier nos corps, nous hybrider avec des machines, viser l’immortalité. Mais d’un autre côté, dans le domaine de l’économie, «notre époque se conçoit elle-­même comme ayant atteint l’âge de maturité». C’est comme si, malgré les dysfonctionnements croissants, rien ne pouvait changer. Les décisions politiques semblent relever des lois inéluctables de la «pure nécessité économique».

Même l’avenir de nos enfants, ce que pourtant nous avons de plus précieux, n’arrive pas à nous dégager des filets d’impossibilités qui paralysent notre démocratie.

 

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