Tabac: les fumeurs sont-ils victimes de leurs gènes?
Choisit-on réellement de fumer? Le fumeur devient-il au contraire esclave de sa consommation à cause du patrimoine génétique qu’il a hérité de ses parents? C’est à cette question essentielle en termes de santé publique que se sont attaqués des chercheurs français, associés à des collègues italiens, américains et canadiens. Ils viennent de publier les résultats de leurs travaux dans la revue Molecular Psychiatry1. Ces résultats pourraient ouvrir de nouvelles pistes dans la compréhension des mécanismes de la dépendance et ainsi aider ceux qui en sont victimes.
Besoins impérieux de nicotine
Les auteurs de ce travail expliquent en substance que la dépendance au tabac est renforcée chez les porteurs d’une certaine mutation génétique. Ils démontrent que le besoin impérieux de nicotine (principale substance tenue pour responsable de l’addiction au tabac) est fortement régulé par une mutation génétique largement répandue dans la population. Leur démonstration expérimentale a certes été faite chez la souris mais les auteurs de la publication estiment pouvoir sans difficultés l’extrapoler à l’espèce humaine.
La mutation en question affecte le récepteur neuronal à la nicotine. Elle a pour conséquence de perturber le fonctionnement normal de ce récepteur et provoque de ce fait une inactivation partielle du «circuit de la récompense». On désigne ainsi le mécanisme neurologique moléculaire étroitement impliqué dans tous les processus de dépendance.
Sensation de manque
Le «circuit de la récompense» est constitué d’un système neuronal qui, à l’état normal, favorise les sensations de bien-être. Dérégulé, ce circuit fonctionne de manière progressivement pathologique. Chez les fumeurs c’est l’effet de la nicotine sur le cerveau qui comble le manque ressenti en cas de privation de tabac. Il faut savoir que la consommation de celui-ci a pour effet de conduire la nicotine qu’il contient à passer dans le sang puis à se fixer sur les récepteurs nicotiniques cérébraux – ce qui entraîne aussitôt une activation de ce «circuit de la récompense». Ces récepteurs sont aujourd’hui bien connus des neurobiologistes moléculaires. Ils se situent sur une famille des neurones dits «dopaminergiques».
Les personnes porteuses de cette mutation génétique ont ainsi plus que d’autres un besoin impérieux de poursuivre (et d’augmenter) leur consommation de tabac pour en ressentir les effets –des effets sans lesquels ils souffrent vite d’une impérieuse sensation de manque. Les chercheurs démontrent expérimentalement chez la souris les effets de la mutation génétique de ce récepteur: un abaissement important de la sensibilité à la nicotine.
Une personne mutée sur trois
Les porteurs de cette mutation ont donc besoin de doses de tabac plus importantes pour obtenir la même «quantité de plaisir» que les fumeurs qui n’en sont pas porteurs. Soit une dose environ trois fois supérieure. Un comportement qui augmente d’autant les conséquences mortifères de l’inhalation des substances toxiques et cancérigènes contenues dans les fumées de tabac.
Cette mutation n’affecte qu’une partie du récepteur nicotinique (la protéine α5 *-nAChRs) sur les neurones dopaminergiques Elle suffit toutefois à perturber elle seule le fonctionnement de ces récepteurs et, en cascade, elle conduit à une inactivation partielle du «circuit de la récompense».
Cette mutation est-elle fréquente chez l’homme? Certaines études suggèrent qu’elle serait présente chez une personne sur trois dans la population européenne et chez neuf gros fumeurs sur dix.
Victimes et non coupables
Les chercheurs espèrent que leur découverte ouvrira la voie au développement de traitements de sevrage tabagique destinés aux individus porteurs de cette mutation –et notamment au développement de traitements de sevrage «personnalisés» destinés en priorité à ces personnes.
On peut aussi imaginer des propositions de dépistage systématique qui permettraient, dès le plus jeune âge, d’identifier celles et ceux qui sont plus exposés que les autres au risque de dépendance tabagique(2).Plus généralement ce résultat devrait contribuer à considérer les consommateurs de tabac comme des malades souffrant d’une dépendance dont ils sont les victimes bien plus que les coupables.
1. Un résumé (en anglais) de cette étude est disponible ici. Elle a été menée par de chercheurs de l’Institut Pasteur de Paris, du Centre national français de la recherche scientifique et de l’Université Pierre et Marie Curie de Paris. Ces chercheurs ont collaboré avec des collègues de l’Université de Cagliari, de l’Université de Pennsylvanie et de l’Université McGill de Montréal.
2. Certains chercheurs développent déjà des travaux visant à déterminer les profils génétiques à haut risque de dépendance tabagique. Une équipe de scientifiques américains, britanniques et néozélandais a publié des résultats intéressants et prometteurs dans ce domaine en mars 2013 dans la revue JAMA Psychiatry. Un résumé (en anglais) de leur travail est disponible ici.
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