Suicide: prédire le risque à partir d’une simple prise de sang
Pour Albert Camus, le suicide était la seule question philosophique qui vaille la peine d’être posée. Et si la question était plus médicale et biologique que philosophique? On pourrait le penser à la lecture d’un article publié par The Américain Journal of Psychiatry, qui change radicalement la donne(1).
Prélèvements de cerveaux
Le travail publié est signé par une équipe de dix chercheurs américains, dirigés par Jerry Guintivano et Zachary Aaron Kaminsky (Department of Psychiatry and Behavioral Sciences, Johns Hopkins University School of Medicine). Au départ, les chercheurs ont travaillé sur des échantillons post mortem de 150 cerveaux provenant de personnes mentalement saines ou pas dont certains avaient mis fin à leurs jours.
Leur objectif était de mettre au point un test d’alerte précoce du risque de suicide. Le sujet n’est pas nouveau, mais le travail s’est révélé d’une très grande complexité. A bien des titres le suicide demeure un mystère.
Pensées suicidaires
Des chercheurs de l’Université de l’Indiana avaient déjà travaillé au développement d’un test sanguin capable de détecter au plus vite les personnes susceptibles de nourrir de graves pensées suicidaires. Leurs travaux avaient été publiés dans la revue Molecular Psychiatry. Ils montraient que certains bio-marqueurs sont présents à des niveaux plus élevés dans le sang de personnes souffrant de troubles bipolaires ainsi que chez celles qui avaient déjà commis des tentatives de suicide (TS).
Aujourd’hui, les chercheurs annoncent avoir découvert une corrélation entre une tendance au suicide et une mutation présente sur un seul gène. Une découverte qui pourrait être la base d’un test sanguin simple permettant de prédire de manière fiable un risque élevé de TS.
Exact à 80%
La mutation est celle d’un gène impliqué dans la réponse du cerveau aux hormones du stress. A ce titre, on peut penser qu’il joue un rôle important dans les pensées et les comportements suicidaires. Ce gène (dit SKA2) est exprimé dans le cortex préfrontal, une région cérébrale impliquée dans l'inhibition de pensées négatives et dans le contrôle de l’impulsivité. De trop faibles niveaux de SKA2 exposent à la mise en marche d’un processus moléculaire que l’on trouve associé au risque de TS.
Sur ces bases, les chercheurs américains ont élaboré un modèle d'analyse cherchant à prédire les pensées suicidaires ou les TS. Ils ont travaillé sur 325 volontaires pour voir s’il était possible de repérer ceux présentant le risque le plus élevé de suicide en analysant leurs marqueurs biologiques. Résultat: selon les auteurs, 80% d’exactitude et jusqu’à 90% de précision étaient obtenus chez les patients présentant le niveau de risque le plus élevé.
Militaires et urgences psychiatriques
Une utilisation dans l'armée est déjà à l’étude, pour détecter les militaires les plus vulnérables. Elle est aussi envisagée dans les services d'urgence psychiatriques, ou encore pour écarter chez les personnes à risque la prescription de médicaments pouvant induire des pensées suicidaires.
Les auteurs estiment que la commercialisation du test pourrait demander entre trois et cinq ans.
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(1) Un résumé (en anglais) de la publication de The American Journal of Psychiatry est disponible ici. Un résumé (toujours en anglais) de l’Université Johns Hopkins est disponible ici.