Une aide est indispensable pour sortir de l'alcoolisme

Dernière mise à jour 11/06/14 | Article
Une aide est indispensable pour sortir de l'alcoolisme
En Suisse, près de 25% de la population adulte dépasse la ligne rouge fixée par l’OMS en matière de consommation d'alcool.

«Ça commence par un whisky à 5 heures pour se donner le courage de jouer le soir. C’est presque un médicament. (…) Mais ça amène au mensonge. (…) Boire trop tue peu à peu le côté festif de la chose, ça isole, renferme sur soi.» Par ces mots, extraits d’une interview accordée à l’hebdomadaire Télérama1, l’acteur français Gérard Depardieu décrivait le piège d’une substance dont il s’est lui-même éloigné et qui, insidieusement, peut faire glisser vers la souffrance et la dépendance.

En Suisse, près de 25% de la population adulte dépasse la ligne rouge fixée par l’Organisation mondiale de la santé à quatorze verres d’alcool standard (bière, vin) par semaine pour les femmes, vingt et un pour les hommes. Au-delà, la consommation devient «à risques» de développer davantage de pathologies et de basculer dans la dépendance. Un problème qui concerne 5% de la population. Les spécialistes d’alcoologie sont encore plus restrictifs en termes de quantité et recommandent de ne pas dépasser sept verres d’alcool par semaine pour les femmes, quatorze pour les hommes et de s’en priver totalement deux jours par semaine.

«Il faut poser des limites aux jeunes»

Les 15-24 ans sont les plus en proie à une consommation excessive d’alcool: 25,9% d’entre eux avouent être ivres au moins une fois par mois*. S’y ajoute la tendance du «binge-drinking» incitant à s’enivrer intensément, en buvant de grandes quantités d’alcool en peu de temps. Côté parents, comment réagir? «Pouvoir en parler et poser des limites est essentiel, indique le professeur Daniele Fabio Zullino, responsable du service d’addictologie aux Hôpitaux universitaires de Genève. Si l’adolescent s’amuse de l’ivresse, il est important de lui rappeler qu’elle peut aussi aller de pair avec un risque accru d’accidents de la route, de violence envers les autres et soi-même. On oublie parfois qu’être ivre nous rend aussi plus vulnérable à la violence d’autrui.» Quand consulter? «Des problèmes à l’école, des bagarres sous l’emprise d’alcool, et bien sûr une consommation d’alcool manifestement excessive sont autant d’événements qui doivent inciter à en parler à un médecin sans attendre, indique le spécialiste. Le dépistage et l’intervention précoces sont de loin ce qui aide le mieux.»

* Etude menée en 2012 par l’Office fédéral de la statistique auprès de 20805 personnes.

Un psychotrope d’une puissance redoutable

Si l’alcool représente un tel fléau, c’est parce qu’il est un psychotrope –autrement dit une substance capable d’agir sur le cerveau– à la portée de tous et d’une puissance redoutable. Toute prise d’alcool modifie les facultés intellectuelles et motrices, mais une consommation répétée, excessive, va bien au-delà, et a deux conséquences. La première est physique: le corps, de moins en moins perturbé par la substance, s’y habitue jusqu’à en ressentir le besoin pour fonctionner, et le manque quand il en est privé. La dépendance s’installe. La seconde est psychique: l’envie d’alcool devient irrépressible et l’emporte sur la raison, en toute occasion. On parle alors d’addiction.

«Ce n’est pas la quantité d’alcool consommé qui définit l’addiction, mais bien l’incapacité à contrôler sa consommation: boire toujours plus que ce qu’on avait prévu, être incapable de refuser un verre d’alcool en sont les signes, explique le professeur Daniele Fabio Zullino, psychiatre responsable du service d’addictologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). A l’origine du trouble: un processus qui s’inscrit au fil des consommations dans les zones les plus primitives du cerveau jusqu’à en faire un automatisme.»

Quand les symptômes sont là, que faire? Consulter au plus vite. «Sortir d’une dépendance nécessite d’être accompagné, indique le Dr Barbara Broers, responsable de l’Unité des dépendances des HUG. Sur le plan physique d’abord. Privé trop brutalement et sans aide d’une substance dont il est devenu dépendant, l’organisme peut réagir violemment, par des tremblements, des crises d’épilepsie ou l’apparition d’hallucinations (delirium tremens).» Pour le sevrage physique, le schéma le plus classique est l’administration sur cinq à dix jours de médicaments, tels que les benzodiazépines.

Vient alors la seconde étape, incontournable: gérer l’aspect psychologique du trouble. Quand la prise d’alcool est devenue un automatisme, il faut parvenir à le contourner. «On n’efface pas une mémoire, explique le professeur Zullino, mais on peut en construire d’autres. Concrètement, l’idée est de repérer les moments "à risques" et de développer, et répéter, des stratégies pour éviter de boire.»

La suite de l’histoire se dessine au cas par cas. La clé du succès: la motivation. «Le jour où la personne parvient à avoir une vision claire de la vie qu’elle veut, une étape fondamentale s’amorce, assure le professeur Zullino. Il devient alors possible de définir avec elle les stratégies qui vont lui permettre d’y parvenir, et la consommation d’alcool possible, ou pas, dans ce scénario.» Et ce travail, seul le patient peut le faire: «Imposer un traitement à quelqu’un qui ne le souhaite pas, l’intimer d’être heureux ne sert à rien. Par contre, pour le proche, ouvrir le dialogue et consulter soi-même, pour déposer son "fardeau", peut être utile», poursuit le psychiatre.

Retrouver la capacité de décider

Reste la question de l’abstinence. L’idéal est-il de renoncer définitivement à l’alcool? «C’est en tout cas l’option la plus simple et souvent la plus adaptée, estime le Dr Broers. Passé le sevrage, maintenir une vigilance permanente sur sa consommation d’alcool peut demander beaucoup d’énergie, et reste périlleux. Une personne qui a été dépendante de l’alcool reste "à risques".» Un choix radical qui n’est pas envisageable pour tous: «L’important est alors moins de rechercher l’abstinence que le retour à la capacité à décider, pouvoir dire non et se limiter», indique le professeur Zullino.

La prise en charge thérapeutique évolue aussi dans ce sens, avec des médicaments qui ne visent pas tant l’arrêt qu’une consommation moindre. Sur les rangs de ces nouvelles molécules, le Naltrexone, le Nalmefene et le Topiramate s’illustrent par leur efficacité.2 Quant au Baclofène, de plus en plus prescrit pour le sevrage alcoolique, en dehors de son statut officiel de myorelaxant, il souffre toujours de l’absence de données et divise les médecins. Deux vastes études françaises devraient éclairer le débat dans les mois à venir.

Quelles que soient les démarches privilégiées, et même si plusieurs tentatives sont parfois nécessaires pour sortir de l’addiction et de la dépendance, «il n’est jamais trop tard pour entreprendre un sevrage, encourage le Dr Broers. Le retour en arrière est toujours possible.»

Alcoolodépendance

1. Paru le 7 mai 2014

2. Examen de 123 études cliniques, paru dans la revue JAMA, le 14 mai 2014.

A consulter

Quelques liens utiles
  • Envisager une prise en charge: www.indexaddictions.ch (listes des lieux de soins spécifiques en Suisse).
  • S’informer: www.addictionsuisse.ch
  • Echanger: Alcooliques Anonymes de la Suisse francophone – www.aasri.org, tél. 0848 848 846 (permanence téléphonique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7).
  • Se tester et s’informer sur un programme de consommation contrôlée: www.alcochoix.ch (test en ligne pour évaluer sa consommation d’alcool).
  • Se faire conseiller: www.stop-alcool.ch (pour les consommateurs d’alcool et les proches).
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