De la langue au cerveau, comment se forme le goût?

Dernière mise à jour 19/01/15 | Article
De la langue au cerveau, comment se forme le goût?
Des chercheurs américains expliquent la façon dont les cellules du cerveau interprètent les saveurs. Il reste toutefois de nombreuses étapes à élucider pour comprendre ce processus complexe.

De quoi on parle?

On peut établir une «carte des goûts» dans le cerveau. Des chercheurs américains de l’Université Columbia à New York avaient déjà découvert que certaines régions du cortex répondent préférentiellement au sucré et d’autres au salé, à l’amer, etc.

Ils le confirment dans un récent numéro de la revue scientifique «Nature»,en montrant que cette spécialisation est déjà présente dans le premier relais sur le chemin qui conduit l’influx nerveux de la langue au cerveau.

Il suffit de croquer dans une pâtisserie pour ressentir quasi instantanément un goût sucré. En moins de 150 millisecondes, la communication s’établit entre la langue et le cerveau qui renvoie − dans la majeure partie des cas − une sensation de plaisir. Mettre en bouche un aliment active toute une cascade de réactions qui, partant des papilles gustatives, atteignent le cortex cérébral.

Interprétation du goût par le cerveau

Tout commence dans la bouche lorsque, mis en contact avec la salive, les aliments libèrent des molécules sapides qui se lient sur les papilles. Celles-ci renferment des petits amas de cellules en forme de grain de raisin (les bourgeons gustatifs) qui détectent les saveurs. Sur la langue, on compte environ 10 000 «boutons» de ce type, chacun renfermant une centaine de cellules munies de serrures – des récepteurs, comme les appellent les scientifiques – qui ont chacune leur spécialité. Certaines ne reconnaissent que les molécules du sucré, d’autres que celles de l’acide, du salé, de l’amer ou de l’umami (lire encadré).

L’expérience modifie la perception

A l’Université de Genève, Alan Carleton et ses collègues du département de neurosciences fondamentales se sont, eux aussi, intéressés à la manière dont le cerveau perçoit les différentes saveurs. Il y a quelques années, ils ont montré que certaines zones du cortex gustatif étaient spécialisées dans un goût particulier. «Il ne s’agit cependant pas de territoires strictement délimités, mais plutôt de chablons d’activités cérébrales spécifiques des différents goûts», précise Alan Carleton.

Mais le plus étonnant est que cette carte cérébrale peut se modifier. Les chercheurs genevois ont montré que si un rat tombe malade après avoir mangé un produit sucré, «le chablon d’activité induit par la molécule sucrée dans son cortex ressemblera à celui suscité par l’amer», qui est une saveur déplaisante. Au bout de quelques jours ou quelques semaines, les mauvais souvenirs sont effacés et le chablon du sucré retrouve son allure initiale. Preuve, selon le chercheur, que les cartes du goût présentes dans le cerveau «peuvent être influencées par l’expérience».

Une fois la bonne clé introduite dans la serrure correspondante, la porte conduisant au cerveau est ouverte. Les récepteurs sont activés et «cela libère des neurotransmetteurs (des messagers chimiques) qui génèrent un influx nerveux», explique Alan Carleton, chercheur au département de neurosciences fondamentales de l’Université de Genève (UNIGE).

Dans le cerveau, le signal transite d’abord par le nerf glossopharyngien pour atteindre un premier relais, le ganglion géniculé, où convergent toutes les fibres nerveuses qui innervent la langue. C’est lui que les chercheurs américains de l’Université Columbia, à New York, viennent d’ailleurs d’étudier de près. Ils ont montré que, comme c’est le cas dans le cortex cérébral, il existe dans ce ganglion des régions répondant spécifiquement à chacune des cinq saveurs primaires.

Après avoir quitté ce relais, l’influx nerveux poursuit son cheminement. Il pénètre dans le thalamus (une petite structure située entre le tronc cérébral et le cortex, qui filtre les informations sensorielles), puis vers le cortex cérébral gustatif «où se forme la perception de la saveur», selon le chercheur de l’UNIGE. Puis, partant de l’une ou l’autre de ces régions, le signal pénètre dans le système limbique, le centre des émotions et du plaisir, ainsi que dans l’hypothalamus, «le centre qui régule la prise alimentaire et la satiété», et dans l’hippocampe, l’un des sièges de la mémoire. De très nombreuses aires du cerveau sont donc concernées et c’est ce qui explique que l’ingestion d’un aliment puisse susciter de nombreuses sensations. Le plaisir comme le dégoût. Mais aussi le sentiment de danger, comme le fait l’amer qui est souvent rejeté – il est vrai que, dans la nature, la plupart des produits végétaux qui ont ce goût sont toxiques. Une seule bouchée peut aussi réveiller des souvenirs d’enfance et faire préférer à toute autre la purée de maman.

Cinq saveurs fondamentales et des goûts «secondaires»

Il n’existe que cinq saveurs fondamentales: le sucré, l’acide, le salé, l’amer et l’umami. Ce dernier terme, sans équivalent en français, «signifie ‹délicieux› en japonais et c’est ce que l’on perçoit en mangeant de la viande ou les moisissures d’un fromage», précise Alan Carleton, chercheur au département de neurosciences fondamentales de l’Université de Genève.

Pourtant, nous sommes capables de reconnaître aussi l’astringent, le piquant, le métallique et même le gras ou l’eau. Sont-ils pour autant des «goûts» à part entière? La question fait débat car, contrairement aux cinq saveurs primaires, ils n’ont pas de récepteurs ni de cellules réceptrices spécifiques connus dans les papilles.

Une chose est cependant sûre: contrairement à une vieille croyance, les diverses régions de la langue ne sont pas associées à une saveur particulière. Le bout, le fond ou les bords de l’organe buccal peuvent chacun détecter tous les goûts.

Mobilisation des autres sens

Si le goût joue un rôle crucial dans la perception des saveurs par le cerveau, il n’est toutefois pas le seul à intervenir dans la formation de la sensation que procure l’ingestion d’un aliment. Cette perception est en fait «multifactorielle». En matière de nourriture, tous les sens sont en effet sollicités, de même que toutes les aires du cerveau qu’ils impliquent. A commencer par la vue, puisqu’un simple coup d’œil à un plat permet de le juger appétissant ou rebutant. L’odorat joue aussi un rôle primordial. Il informe sur le fumet d’un aliment avant de l’avoir en bouche. En outre, mastiquer libère dans la bouche les molécules odorantes qui constituent l’arôme de l’aliment; ces substances remontent alors vers les cavités nasales où elles sont détectées par les neurones olfactifs. Il faut encore ajouter le toucher et l’ouïe. «Lorsque nous mangeons des chips, le bruit du craquant se transmet par les os à l’oreille interne, illustre Alan Carleton. C’est pour cette raison que nous n’avons pas le même plaisir à manger des chips molles.» Pourtant, elles ont exactement le même goût.

«De nombreuses composantes entrent en jeu et c’est cette diversité qui nous fait percevoir un aliment comme agréable ou non», conclut le spécialiste en neurosciences. Ce sont elles qui, influencées aussi par l’expérience personnelle et la culture, incitent – ou non – à se précipiter sur le gâteau.

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