Sexualité: quand l’enfant s’éveille

Dernière mise à jour 03/11/14 | Article
Sexualité: quand l’enfant s’éveille
Les parents se sentent souvent démunis face aux comportements et questions des jeunes enfants qui découvrent leur corps. Qu’est-ce qui est normal, qu’est-ce qui ne l’est pas? Et surtout, comment réagir? Les réponses d’une spécialiste pour permettre un sain apprentissage du corps et de la sexualité à vos enfants.

La sexualité des petits enfants est souvent taboue pour les parents. Voir son bébé explorer ses zones génitales, puis devoir répondre aux premières questions du jeune enfant, restent souvent des moments de grande gêne ou d’embarras. «Or, il est essentiel pour le développement que l’enfant puisse bien vivre la découverte, l’exploration de son corps et de la sexualité, sans avoir l’impression de faire quelque chose de mal, d’interdit, et qui déplaît à ses parents. D’ailleurs, même si l’adulte choisit de ne pas réagir, tout en étant embarrassé, l’enfant ressentira son malaise à travers son langage non verbal, ses mimiques, ses gestes et regards», souligne Sophia Lessard. En septembre dernier, la sexologue, conférencière, formatrice et auteure de livres sur l’éveil sexuel des enfants*, était en Suisse romande pour partager ses connaissances. L’occasion de répondre aux principales questions que se posent les adultes face à l’éveil sexuel des petits enfants.

Quand débute l’éveil sexuel de l’enfant?

L’éveil sexuel commence dès la naissance, voire même avant. La sexualité de l’enfant, qui est en développement, ne peut être assimilée à celle de l’adulte, parce qu’elle ne répond pas aux mêmes besoins. Chez l’enfant, il s’agit avant tout d’un jeu, d’une découverte et d’une expérimentation de son corps et de ses réactions. De la même manière qu’il touche et découvre un jour son nez, ses pieds et ses orteils ou sa bouche, le petit enfant explore ses zones génitales.

Plus tard, cet éveil à la fois affectif, sensuel et sensoriel va amener l’enfant, assoiffé de nouvelles expériences et de connaissances, à apprendre aussi de nouveaux mots (pénis, vulve, intimité, amoureux, etc.) et concepts.

A quel moment évoquer l’éveil sexuel avec l’enfant?

La communication autour de la sexualité débute également à la naissance. Elle est d’abord non verbale, à travers l’interaction entre l’enfant et ses parents au quotidien: le contact, les gestes, les caresses, l’allaitement, le bain, la voix apaisante de la mère, etc. «Ce sont autant de moments de bien-être très intenses, et qui déclenchent déjà la lubrification vaginale chez la petite fille et l’érection chez le petit garçon, qui sont des réactions naturelles, non contrôlées», explique Sophia Lessard.

Toutefois, ces réactions peuvent déjà mettre les parents mal à l’aise, se demandant s’ils font quelque chose de mal. Une étude a ainsi montré qu’on consacrait beaucoup moins de temps à changer les couches d’un bébé garçon que celles d’une fillette. Cela parce que le petit garçon a des réactions visibles (des érections). Dès lors, gênés, certains adultes se limitent à effectuer les gestes essentiels, sans autres marques d’affection. Or, l’enfant a besoin de ces contacts, de tendresse, de massages, sans fonction abusive. «Il s’agit non seulement d’accueillir l’enfant avec bienveillance au début de sa vie, mais aussi de lui donner le goût de vivre. Laissé à l’abandon, sans affection, il risque de s’éveiller plus lentement à son entourage, voire de subir des carences qui le portent à se laisser mourir», souligne la sexologue.

Quel langage utiliser pour parler de sexualité avec un enfant?

Vers l’âge de deux ans, l’enfant va commencer à poser des questions, avant tout pour connaître les noms des choses: «C’est quoi ça?» Le langage qu’on utilise a alors toute son importance. «Il faut appeler les choses par leur nom, être le plus concret possible, car la capacité d’abstraction est réduite à cet âge, souligne Sophia Lessard. Ainsi, tout comme un nez est un nez, un pénis est un pénis, et non pas un zizi ou une zigounette. Et une vulve est une vulve. Les choux, petites graines et autres mots fantaisistes sont à proscrire!» En cas de gêne du parent, ou si l’enfant ne pose pas de questions, on peut avoir recours à des livres d’images destinés à expliquer l’anatomie et la sexualité aux enfants, ou à des poupées sexuées par exemple.

Il est essentiel aussi, pour la future vie sexuelle de l’enfant, et l’image qu’il a de son propre corps et de celui des autres, d’utiliser un langage neutre, qui n’assimile pas la sexualité et les zones intimes du corps à quelque chose de sale, de honteux.

«La manière dont nous transmettons notre vision de notre corps et de son fonctionnement aura une grande répercussion sur la capacité de nos enfants à aimer leur propre corps, leur fierté à se l’approprier et, plus tard, sur leur faculté à aimer celui des autres», souligne la spécialiste.

Pas de cours d’anatomie

Il est cependant inutile de se lancer dans un long cours d’anatomie. Une à quatre phrases avec des mots simples suffisent lorsqu’on aborde un sujet pour la première fois. Il faut dire aux enfants la vérité qui les concerne. Ainsi, Sophia Lessard cite l’histoire de la petite fille qui vient vers sa mère pour lui demander: «C’est un bouton, ça?», en montrant son clitoris. Lui répondre «Non, c’est ton clitoris» la satisfera. L’enfant reviendra d’elle-même pour s’assurer d’avoir bien compris, voire pour développer le sujet abordé.

Au rythme de l’enfant

Il en va de même lorsque, entre 4 et 6 ans, vient la période des «Pourquoi?» et des «Comment?» Au lieu de répondre de suite, il est conseillé aussi de demander d’abord à l’enfant: «Et toi, qu'en penses-tu?» Cela permet de savoir où en sont ses connaissances et d’y adapter son discours. C’est lorsque l’enfant revient à la charge qu’on pourra aller plus loin, mais toujours à son rythme, au gré de ses expériences. Par exemple, le jour où le petit garçon, alors qu’il a déjà eu de nombreuses érections auparavant, s’aperçoit consciemment de cette réaction de son corps, il pourrait s’en effrayer: «Va-t-il rester comme ça?» Ce sera l’occasion de lui expliquer que cela s’appelle une érection et que son pénis monte et redescend ensuite.

Est-ce normal que mon enfant se masturbe? Comment réagir?

La sexualité infantile s’éveille au gré du vécu, des circonstances, sans préméditation. C’est fortuitement, en touchant ses zones génitales, qu’il va remarquer que caresser ces endroits est agréable. Au départ, il ne recherche pas ce plaisir, comme le fait l’adulte, mais le découvre. Se rendant progressivement compte que cela lui donne des sensations particulières, il va répéter ces gestes pour mieux comprendre ce qui se passe dans son corps. D’où des comportements compulsifs, «un peu comme lorsque l’enfant joue avec un nouveau cadeau», illustre Sophia Lessard.

En général cette découverte se fait entre la 2e et la 3e année. Selon certaines recherches, le tiers des enfants entre 3 et 8 ans pratique l’autostimulation.

Sans honte ni culpabilité

La masturbation est une pratique naturelle qui dure toute la vie. L’enfant doit pouvoir s’y adonner sans se sentir coupable pour apprendre le fonctionnement de son corps, ce qui lui permettra d’avoir une vie sexuelle adulte satisfaisante.

Dès lors, comment réagir lorsqu’on découvre son enfant en train de se caresser en regardant son dessin animé préféré? En aucun cas, il faut lui dire quelque chose de culpabilisant ou d’effrayant comme: «Arrête ou ton zizi va tomber!» ou «Arrête et va te laver les mains!» ou «Va faire ça dans ta chambre!». Ce sont là des phrases qui risquent de faire assimiler à l’enfant la sexualité et sa zone génitale comme quelque chose de sale ou de honteux, et qu’on ne peut le toucher qu’en cachette. De même, le fait d’essayer de faire diversion à chaque fois, en lui proposant une autre activité, constitue un message négatif, qui va l’inciter à se cacher pour s’auto-stimuler, tout en le culpabilisant.

Apprendre l’intimité

Le moment où l’enfant commence à se masturber est donc aussi l’occasion de lui apprendre la notion d’intimité, qu’il y a droit et que son corps lui appartient. «Il faut préciser que l’intimité ne signifie pas "en cachette"», souligne Sophia Lessard. On lui dira plutôt que l’intimité, à la maison, c’est de s’isoler dans un endroit comme sa chambre, où il est seul et tranquille, sans être dérangé pour faire toutes les choses qu’il aime: dessiner, bricoler, regarder des livres, etc. «Au-delà du bien et du mal, on apprend ainsi des règles de sécurité à l’enfant sans lui transmettre la peur. Car lorsqu’il s’explore son intimité, personne ne pourra le voir et mal interpréter ses gestes ou être tenté de l’initier à d’autres pratiques», ajoute la spécialiste. Cette sécurité de son apprentissage de la sexualité est donc aussi un moyen de prévenir les abus sexuels.

Quand s’inquiéter?

La masturbation peut néanmoins être le signe d’un trouble en lien avec un événement particulier. Par exemple, si l’enfant a vu des images pornographiques, s’il a assisté à un rapport sexuel entre adultes, ou encore s’il a été involontairement initié à des comportements sexuels inappropriés par d’autres enfants, plus âgés. Il faut s’en inquiéter et consulter un sexologue lorsque l’enfant pratique la masturbation de façon compulsive, au point de se faire mal, d’irriter ses parties génitales et de délaisser ses autres centres d’intérêt.

Tous les enfants sont-ils voyeurs et exhibitionnistes?

A un moment donné, l’enfant, même s’il est habitué à voir ses parents, frères et sœurs, copains et copines nus, va commencer à les détailler du regard, à étudier leur anatomie sexuelle dans les moindres détails. Ce passage normal lui permet de comparer son corps à celui des autres, de constater les différences et de prendre conscience de l’existence des deux sexes.

«La question de la nudité des parents devant les enfants est controversée, note Sophia Lessard, certains spécialistes la proscrivent. Mais j’estime qu’à trop vouloir se cacher, on excite davantage leur curiosité qui peut alors devenir malsaine. Parallèlement, cela lui donne à penser que le corps nu est quelque chose de honteux et qu’on ne doit pas le montrer. Toutefois, lorsque le parent ressent un malaise devant ses regards insistants, mieux vaut arrêter de se montrer, ou de prendre son bain avec lui. De toute manière, l’enfant ressentira le malaise», note la sexologue. C’est l’occasion de lui rappeler aussi la notion d’intimité, dont les adultes aussi ont besoin.

S’exhiber pour se reconnaître

L’exhibitionnisme de l’enfant est également un passage normal, nécessaire pour développer son identité de genre. Montrer son corps nu, de manière naïve, innocente, lui permet progressivement d’apprendre les règles en matière de nudité en vigueur dans la société. «Des parents ouverts d’esprit, qui le laissent faire ses expériences, lui permettront de franchir une nouvelle étape au cours de laquelle il deviendra beaucoup plus pudique. Une pudeur qu’il faudra également comprendre et respecter le moment venu, sans se moquer –«J’ai vu tes fesses!» ou «C’est moi qui ai changé tes couches, arrête d’être si pudique»– en le laissant s’habiller et se déshabiller seul, se laver ou aller aux WC en fermant la porte, etc. Et en lui expliquant que son corps lui appartient bel et bien.

Faut-il laisser les enfants jouer au docteur?

«Contrairement à l’adulte, l’enfant ne cherche pas à entrer en contact avec un autre pour assouvir un besoin, mais pour apprendre à se connaître lui-même et comprendre sa sexualité, relève Sophia Lessard. Jouer au docteur est le jeu le plus vieux du monde, auquel presque tout le monde a joué. Il s’agit d’un jeu habituel, qui peut se faire même s’il est pratiqué avec des enfants de même sexe.»

La «règle des trous»

Ces jeux de découverte sexuelle sont généralement passagers, mais fréquents pendant une période. Pour que cela se passe en toute sécurité, il est conseillé de surveiller de loin. Il faut ainsi fixer les limites et règles du jeu, en expliquant à l’enfant qu’il peut y jouer uniquement avec des amis du même âge et à condition que chacun se sente libre de participer ou d’arrêter de jouer.

«Et il faut leur donner ce que j’appelle la "règle des trous", conseille Sophia Lessard. Les enfants doivent savoir qu’ils ne doivent rien mettre dans les trous de leur corps ou de celui de leurs amis: ni dans les oreilles et les narines, ni dans la bouche, le vagin ou l’anus. Ce faisant, on leur apprend aussi à imposer leurs propres limites et le droit de dire "non" lorsque quelque chose leur déplaît.»

_________

*Pour en savoir plus:

  • «Pour l’amour des enfants… La découverte de la sexualité et ses mystères», Sophia Lessard, Ed. Sexprime.
  • «J’explore», Sophia Lessard, Stéphanie Glaveen, Ed. Sexprime, 2008.
  • Site web de l’auteure: http://www.sophialessard.com
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