Écrans: amis ou ennemis de nos ados?

Dernière mise à jour 08/05/19 | Article
4,4 heures en semaine. 7,4 heures le week-end. C’est en moyenne le temps passé par un adolescent sur un écran chaque jour (1). Quelles en sont les répercussions ?

Si les nouvelles technologies étaient absolument inoffensives, comment expliquer que les grands patrons de la Silicon Valley, au cœur de leur conception, en interdisent l’utilisation à leurs enfants? Eux parlent de principe de précaution, mais les études commencent à confirmer leurs craintes.

Tout d’abord, d’un point de vue fonctionnel, il existe une forte présomption que les écrans, quels qu’ils soient, favorisent l’apparition de troubles oculaires. «Les tout-petits seraient particulièrement en danger, explique le Pr Serge Tisseron, psychiatre spécialiste de l’adolescence. Les lumières bleues des écrans semblent agressives pour la rétine, en particulier chez les moins de 3 ans dont le cristallin n’est pas encore opacifié».

Un sommeil perturbé

Quelles recommandations à quel âge?

S’il est difficile d’imposer des règles de conduite, l’Association française de pédiatrie ambulatoire propose d’appliquer la règle des «3-6-9-12»3, établie sur les conseils du Pr Serge Tisseron:

  • Avant 3 ans: Évitez les écrans en continu, comme la télévision, et utilisez-les avec l’enfant seulement sur des périodes courtes, en usage accompagné.
  • Entre 3 et 6 ans: Limitez les écrans et partagez-les, parlez-en en famille. Pas de tablette ou de console de jeux personnelle. Préférez toujours les outils familiaux: leur utilisation est plus facile à réguler.
  • Entre 6 et 9 ans: Créez avec les écrans. Pas d’Internet, ou alors accompagné. Jamais d’écran dans la chambre.
  • Entre 9 et 12 ans: Internet accompagné ou seul, mais avec prudence et avec votre accord. Définissez des règles d’usage et des horaires prédéfinis.
  • Après 12 ans: Fixez des horaires à respecter, parlez avec lui des dangers d’Internet et des réseaux sociaux. Pas de téléphone allumé sur la table de nuit. Achetez des réveils!

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Autre conséquence probable d’une surexposition aux écrans: les troubles du sommeil, de plus en plus fréquents chez les jeunes. La lumière bleue envoyée par ces supports provoque une perturbation de la production de mélatonine, hormone qui joue un rôle dans la régulation des rythmes chronobiologiques. «La journée, le soleil nous abreuve de lumière bleue, mais le soir, notre biologie nous incite à entrer progressivement dans le sommeil, explique le Pr Tisseron. Se trouver devant un écran c’est donc tromper notre cerveau, lui faire croire que c’est encore la journée, et cela peut créer des difficultés d’endormissement». Pour le Pr Benjamin Boutrel, responsable de l’Unité de recherche sur la neurobiologie des troubles addictifs et alimentaires du Centre de neurosciences psychiatriques du Centre hospitalier universitaires vaudois (CHUV), c’est plutôt du côté de l’exaltation générée par l’utilisation des écrans qu’il faut aller chercher l’origine des troubles du sommeil. «La vigilance accrue qui en découle peut expliquer la difficulté à s’endormir». Un sommeil perturbé chez l’adolescent est donc l’un des signes qui peuvent indiquer une consommation d’écran trop importante. Mais d’autres conséquences peuvent survenir. Une étude2 a en effet relevé une hausse de la dépression et un risque accru de suicide chez les jeunes consommant massivement les nouveaux médias, sans que l’on sache toutefois dans quel sens se fait la causalité.

Une vaste étude en cours

Indirectement, la sédentarité souvent induite par la pratique d’activités sur tablette, télévision, téléphone ou ordinateur engendre également un risque de surpoids. L’obésité, considérée par l’OMS comme une «épidémie non infectieuse», est en constante progression chez les jeunes et directement liée aux modifications de nos modes de vie.

Outre les effets comportementaux, une consommation massive d’écrans impacte-t-elle plus globalement la structure même du cerveau? Une vaste étude4 menée sur plus de 11’000 enfants a observé chez les plus gros consommateurs un rétrécissement prématuré du cortex, zone qui joue un rôle primordial dans l’acquisition du langage, de la mémoire ou encore de la motricité. «Il est encore assez difficile de mettre en évidence une répercussion des écrans sur le cerveau, tempère Benjamin Boutrel. Ce que l’on sait par contre, c’est que dans le cas spécifique des addictions comportementales, comme une cyberdépendance, apparaissent des adaptations très fines dans le cerveau, en particulier au niveau du cortex préfrontal.»

Malgré tout, difficile d’affirmer que ces modifications ont un impact négatif à long terme. «D’un point de vue cérébral, des études tendent à montrer que les jeux vidéo, en particulier, favoriseraient une meilleure connectivité: le cerveau réagirait plus rapidement à certains stimuli», poursuit le spécialiste.

Limiter l’impact négatif des nouvelles technologies ne doit donc pas faire oublier l’immense potentiel qu’elles nous offrent par ailleurs, en matière non seulement de créativité et d’apprentissages mais aussi de liens sociaux et d’innovation. «La culture des écrans est la culture de demain, il nous faut aussi apprendre à en maximiser les bénéfices», résume ainsi Serge Tisseron.

Quand faut-il s’inquiéter?

On culpabilise souvent les parents, perdus entre les recommandations et la réalité des pratiques d’aujourd’hui. Comment savoir alors que son enfant est dans une consommation problématique d’Internet, des réseaux sociaux ou encore des jeux vidéo? Pour Serge Tisseron, psychiatre spécialiste de l’adolescence, «le signe d’alerte essentiel est la réduction du temps de sommeil et ses conséquences». Des règles simples sont alors à mettre en place: pas de téléphone allumé sur la table de nuit et des temps de «déconnexion» à l’approche du coucher.

La baisse des résultats scolaires ou un désintérêt de ses amis «réels» et de sa famille doivent préoccuper les parents. Pour Benjamin Boutrel, responsable de l’Unité de recherche sur la neurobiologie des troubles addictifs et alimentaires du CHUV, l’addiction peut également se définir par «une perte de contrôle, de pondération et d’évaluation des conséquences de ses propres actes». Le champ des possibles qu’offre Internet procure de tels sentiments d’exaltation et de toute-puissance que, privé de sa source de satisfaction, l’adolescent peut manifester une forte agressivité.

Comment réagir alors? Outre l’importance de proposer d’autres activités non virtuelles, de maintenir le lien social ou encore de susciter l’intérêt et la curiosité pour l’autre, cela doit passer par la communication. «Chaque parent devrait commencer par s’intéresser à ce que son enfant regarde sur les écrans et ce qu’il y fait. Susciter le dialogue est primordial. Et surtout montrer l’exemple, car les adultes sont parfois tout aussi accros à leur téléphone», conclut Serge Tisseron.

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Paru dans le Quotidien de La Côte le 27/03/2019.

1 Health Behaviour in School-aged Children (HBSC), en Suisse: Étude menée sur des enfants de 11 à 15 ans.

2 Increases in Depressive Symptoms, Suicide-Related Outcomes, and Suicide Rates Among U.S. Adolescents After 2010 and Links to Increased New Media Screen Time. https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/2167702617723376

3 https://www.3-6-9-12.org/

4 Screen media activity and brain structure in youth: Evidence for diverse structural correlation networks from the ABCD study. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1053811918320123?via%3Dihub