Tabagisme: non, fumer n’est pas la norme

Dernière mise à jour 11/01/23 | Article
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En matière de prévention, la tendance est à la dénormalisation du tabac et de ses produits dérivés. L’objectif: éviter que les jeunes, cibles des cigarettiers, ne tombent dans le piège de la banalisation et montrer que fumer est un fardeau pour l’ensemble de la société.

Première cause de mortalité évitable en Suisse, le tabagisme continue de faire des ravages: un fumeur sur deux meurt d’une maladie liée à sa consommation. Selon les dernières données du monitorage suisse des addictions et des maladies non transmissibles (2018), la Suisse compte 27% de fumeurs et fumeuses chez les 15 ans et plus, et 6% parmi les 11-15 ans. Face à une industrie du tabac toujours plus agressive, qui n’a de cesse de renouveler ses produits et ses stratégies marketing pour inciter les jeunes à fumer, la lutte continue.

«Tabagram»: un outil pour déjouer les stratégies publicitaires

Face à l’omniprésence des produits du tabac sur les réseaux sociaux et en marketing digital, Unisanté a créé un outil sur tablette reprenant le design d’un réseau social bien en vue. «Tabagram» a pour but de sensibiliser les jeunes aux techniques de marketing sophistiquées de l’industrie du tabac, dont ils sont la cible principale. «Les jeunes jouent le rôle d’une personne modératrice d’un réseau social. Ils et elles sont invités à signaler tous les contenus publicitaires et promotionnels pour le tabac ou la nicotine qu’ils croisent au détour des stories qui leur sont présentées», explique Vanessa Prince, chargée de projet en prévention du tabagisme à Unisanté. Disponible gratuitement sur tablette, ce projet est soutenu financièrement par le Fonds de prévention du tabagisme dans le cadre de son programme Free.Fair.Future.

Les milieux de la prévention cherchent aujourd’hui à dénormaliser le tabac et les produits qui en sont dérivés (cigarette électronique, tabac chauffé, à chiquer, snus), porte d’entrée à la cigarette conventionnelle. «La dénormalisation vise à changer la norme sociale du tabac. Il s’agit de rendre le produit moins désirable, moins acceptable et moins accessible», explique Luc Lebon, responsable du Secteur de prévention du tabagisme d’Unisanté à Lausanne. Cette nouvelle approche a fait ses preuves aux États-Unis et en France, notamment auprès des jeunes. Ces derniers, plus vulnérables à la publicité et aux addictions (dont celle à la nicotine), sont la cible privilégiée des cigarettiers. «Les études montrent que la majorité des fumeurs débutent leur consommation avant l’âge de 18 ans», indique Luc Lebon.

Du marketing sournois et agressif

Pour recruter de nouveaux consommateurs, l’industrie du tabac recourt abondamment à la publicité et aux réseaux sociaux. Ce marketing, qui vise les jeunes, est moins visible par la population générale, mais pas moins redoutable: «Plus on est exposé à des contenus publicitaires, plus on est à risque de consommer», souligne Luc Lebon. Qu’il s’agisse de la cigarette conventionnelle, électronique, jetable ou du snus, etc., les produits du tabac y sont montrés sous un jour positif, associés au plaisir, à la drague, à la fête, à la convivialité. «La publicité met en scène des jeunes et utilise leurs référentiels, le tutoiement, des couleurs vives, etc. Tout est fait pour banaliser la consommation», illustre le spécialiste. De la publicité rémunérée et calibrée se fait aussi par l’intermédiaire d’influenceurs, jugés crédibles par le jeune public. On assiste également à du placement de produit et de comportements dans des films et séries. Si on se fie à ces représentations, on tend à surestimer le nombre de fumeurs et l’acceptabilité sociale du produit. Or, «fumer n’est pas la norme, la majorité des gens ne fume pas», souligne Luc Lebon.

Une problématique de société

Et ce ne sont pas là les seuls arguments de la dénormalisation. Cette approche entend casser les préjugés: «Fumer n’est ni un plaisir, ni une liberté, mais une addiction. Pour preuve, la majorité des personnes fumeuses souhaite arrêter», rappelle le spécialiste. Dénormaliser, c’est également montrer que le tabac est un problème pour toute la société. Notamment en rappelant que la dépendance au tabac coûte plus qu’elle ne rapporte. «La perte de productivité et les frais médicaux liés au tabagisme coûtent cinq milliards par an aux contribuables suisses (contre deux milliards de revenus des taxes). L’opinion publique est favorable à une augmentation des taxes sur le tabac et à une interdiction de la publicité afin d’améliorer la santé de la population», indique Luc Lebon.

Des mesures structurelles

La dénormalisation peut également s’ancrer dans différentes mesures politiques et structurelles. Par exemple, la loi fédérale sur la protection contre le tabagisme passif, en vigueur depuis 2010, a donné lieu à une nouvelle norme sociale, soit l’interdiction de fumer dans les lieux publics fermés. Aujourd’hui, celle-ci pourrait s’étendre aux lieux publics extérieurs, comme à Genève, où il est désormais interdit de fumer dans les préaux d’école, places de jeu, piscines, terrains de sport et arrêts des transports publics. En France, l’introduction du paquet neutre relève aussi de cette stratégie de dénormalisation et réduit l’attrait du produit. «On sait que c’est une stratégie gagnante, mais elle n’est pas appliquée en Suisse», regrette Luc Lebon.

La dénormalisation voulue par les milieux de la prévention est porteuse, mais se heurte dans notre pays à l’interférence des cigarettiers dans les débats et les décisions politiques. «La faîtière de l’industrie finance des organisations économiques et probablement aussi des partis. Notre système politique lui permet d’être très influente», commente Luc Lebon. Enfin, la Suisse tarde à mettre en application la loi sur les produits du tabac et les cigarettes électroniques (LPTab) qu’elle a adoptée en 2021, ainsi que l’initiative «enfants sans tabac», acceptée en 2022 par le peuple. En attendant, le flou législatif et le manque de contrôles (avertissements non conformes sur le snus, cigarettes électroniques jetables dépassant les normes, etc.) profite aux géants de l’industrie.

Dénormaliser, c’est aussi rétablir la vérité

L’industrie du tabac a toujours flirté avec le mensonge. «Lorsqu’on a découvert que le tabac provoquait le cancer, les cigarettiers ont inventé le filtre, qui n’a en réalité pas diminué la prévalence des maladies liées au tabac. La mise sur le marché de la cigarette "légère", qui entraîne la même dépendance, relève aussi de cette logique industrielle de prétendue réduction des risques», déclare le Pr Jacques Cornuz, directeur d’Unisanté à Lausanne. Aujourd’hui, ce sont les nouveaux produits du tabac qui posent des questions.

Côté réputation, les géants du tabac cultivent une image de bons employeurs, aux valeurs éthiques et écologiques. Or, «la culture du tabac, nocive pour la santé, exploite des enfants dans des pays pauvres», note Luc Lebon, responsable du Secteur de prévention du tabagisme à Unisanté. Les opérations de greenwashing, avec la mise à disposition de cendriers jetables pour ménager la planète, en est un autre exemple. «L’industrie met, une fois de plus, la charge des méfaits du tabac sur le dos des fumeurs. Et cherche par la même occasion à cacher l’important impact environnemental de sa production», conclut le Pr Cornuz.

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Pour en savoir plus: https://www.planetesante.ch/anti-tabac/

Paru dans Le Matin Dimanche le 25/12/2022

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